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tés exige quelque support permanent, et la vérité entrevue de la persistance de la matière se trouve vérifiée en effet par les travaux des chimistes, de Robert Boyle à Lavoisier. La question a pour nous changé de face ; il ne s’agit plus des changements qualitatifs de la matière, mais bien du rapport originaire des éléments matériels. Wundt fait ici une revue intéressante et précise, où je ne peux pas le suivre, des hypothèses proposées pour définir ce rapport : celle du contact, due à Navier et à Poisson, celle du double milieu, due à Cauchy, celle des atomes mobiles, qui est sortie de l’étude faite par Young et par Fresnel des phénomènes d’interférence et de polarisation. La théorie atomique prend désormais des formes différentes entre les mains des physiciens et celles des chimistes. Cependant les chimistes tendent à accepter l’unité de la matière, tandis que les physiciens (Clausius et Kronig) rejettent le double milieu, et la physique moderne est cartésienne, ainsi que M. Bertrand l’a montré de son côté (Journal des savants). Si le philosophe était satisfait de la conception de l’atome comme point de force, celle du double milieu l’embarrassait. La physique vient enfin au-devant de son dernier désir et lui permet de concevoir la simplicité absolue, aussi bien que l’uniformité absolue des éléments derniers de la matière.

Cela est-il vraiment de nécessité philosophique ? Wundt distingue, dans le but d’échapper au fameux dilemme — fini ou infini, — les deux sens sous-entendus sous le terme d’infini, et il écrit : « La difficulté n’est pas de continuer en pensée l’espace ou le temps, indéfiniment, au delà de l’expérience, mais de penser des déterminations dans l’infini. Le monde ne peut être considéré ni comme limité dans le temps et dans l’espace, ni comme un tout infini donné d’emblée ; les déterminations sont relatives, l’infini devient, et notre vue est bornée aux infiniment petits de ce devenir. » Bref, l’incommensurabilité est une chose, l’infinité totale est une autre chose, Si l’incommensurable peut être sujet d’étude, en tant que le cours où il est ne s’arrête pas, l’infinité se dérobe à notre examen. Nous avons beau nous détacher de l’expérience pour saisir l’infini, le fini est la sentinelle qui nous garde étroitement, et l’infinité du monde n’est jamais qu’un postulat-concept (Begriffspostulat).

Ce concept, observerai-je maintenant, semble de nécessité logique ; mais le concept d’unité de la matière prétend à une valeur systématique et nous sommes conduits à distinguer si nous avons affaire, avec ces abstractions unité, infinité, à une condition de l’esprit ou seulement à une vue de l’esprit. Or, il paraît bien que notre esprit a une tendance à simplifier toute explication, à réduire les faits en des données toujours plus simples ; mais cette tendance n’exige pas plus le concept objectif de l’uniformité et de la simplicité des éléments matériels, que l’infinité conventionnelle des géomètres n’exige l’infini divin de Spinoza, et quant aux modernes théories simplistes, elles ne sont que des hypothèses. Le même traitement, ajouterai-je, que Wundt applique au dilemme : fini ou infini, ne convient-il pas encore au dilemme : unité