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ANALYSES.c. thiaucourt. Cicéron.

lui avoir donné une place qui ne lui convient pas. » M. Thiaucourt n’a pas pris garde à l’enchaînement des idées, qui est, dans ce passage, assez rigoureux. Après avoir montré que nous connaissons le bien non par addition ou comparaison, mais naturellement, propria vi sua, Cicéron oppose le bien ainsi défini aux passions, qui n’ont rien de naturel et de primitif, mais sont acquises, et n’ont d’autre raison d’être que la légèreté de nos jugements. Il est bien permis, je pense, de confirmer une définition en l’opposant à son contraire.

Mais nous ne voulons pas insister sur ces détails. Il vaut mieux signaler les parties excellentes du livre de M. Thiaucourt : mentionnons en particulier l’étude sur les Académiques, l’excellente discussion sur le De finibus, et le chapitre sur le De officiis, où cependant M. Thiaucourt, par exception, a peut-être fait la part un peu trop belle à Cicéron. Le plus grand éloge qu’on puisse faire de ce livre est de dire que personne n’étudiera plus aucune question de la dernière période de l’histoire de la philosophie ancienne, sans le consulter, sans en tirer le plus grand profit, sans savoir gré à l’auteur de la peine qu’il a prise et des précieux documents qu’il a accumulés.

En même temps qu’il déterminait les sources de Cicéron, ce qui est l’objet propre de son livre, M. Thiaucourt était amené à résoudre une question d’un intérêt encore plus général : quelle est la valeur de l’œuvre philosophique de Cicéron ? En dépit de quelques expressions qui, prises isolément, pourraient donner le change sur sa véritable pensée, M. Thiaucourt nous semble s’être tenu dans la juste mesure. Que Cicéron n’ait aucune originalité de pensée, c’est ce que personne ne contestera sérieusement ; qu’il ait écrit fort vite, et sans beaucoup de soin, c’est ce qui résulte de ses propres aveux, et ce qu’on pourrait d’ailleurs légitimement inférer de ce fait que tous ses ouvrages philosophiques ont été composés dans l’espace de deux ans. Il ne faut lui demander ni une connaissance très approfondie des systèmes qu’il expose, ni une rigueur irréprochable dans la discussion, ni même un attachement trop fidèle aux doctrines qui semblent parfois obtenir ses préférences. Il eût sans doute été surpris lui-même si on lui eût décerné le titre de philosophe dans le sens plein et entier du mot. Il n’a été qu’un grand amateur de philosophie. La philosophie était pour lui d’abord un moyen de s’exercer dans l’art oratoire, plus tard une occupation et une consolation aux heures sombres de sa vie, peut-être aussi une sorte de vanité littéraire : il s’est flatté d’exceller dans un genre où peu de Romains s’étaient encore exercés. Il s’est proposé d’introduire la philosophie à Rome, de la faire connaître et aimer : il n’avait pas besoin pour cela de pénétrer jusqu’au fond des derniers problèmes ; il devait plutôt se garder avec soin des difficultés qui auraient rebuté le public auquel il s’adressait trop de philosophie aurait nui à son dessein. Tel est le rôle qu’il s’est assigné à lui-même il l’a rempli à merveille, étant un esprit libre, curieux et ouvert, comprenant suffisamment les divers systèmes, parce qu’il s’était de bonne heure familiarisé avec