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dit-il, qu’un Credo encore ; elle est « un problème pour l’homme, une science pour qui est plus qu’homme[1] ».

M. Romundt estime, tout au contraire, que la critique de Kant est une simple préparation à sa métaphysique ; et par la métaphysique seule, à laquelle le maître a assigné les idées de Dieu, de l’âme et de l’immortalité, « la philosophie, dit-il, devient vraiment la science de quelque chose et cesse d’être une vide théorie de la science » (p. 149). Il ne juge pas avec moins de sévérité que Liebmann les trop célèbres néo-kantiens Fichte, Schelling et Hegel, et il a même pour eux les paroles les plus méprisantes. Sa sévérité ne part cependant pas du même motif, et, tandis que Liebmann leur reproche d’être entrés plus avant dans l’erreur de la « chose en soi et laisse Kant à moitié responsable de leurs bévues, M. Romundt les accuse, non pas d’avoir fait une métaphysique, mais d’en avoir fait une mauvaise, et celle qu’il entend paraît exiger la distinction préalable de cette chose en soi, sans dépouiller néanmoins la marque de l’hypothèse.

« La doctrine allemande post-kantienne, je laisse parler ici l’auteur lui-même, des fondements derniers de l’expérience, du moi absolu, de l’identité absolue, etc., est en vérité le pays de cocagne de la métaphysique, où les pigeons rôtis volaient dans la grande bouche du grand Fichte, et où les porcs rôtis, avec couteau et fourchette au dos, couraient dans les bras des amateurs de philosophie. — Une philosophie pour plaisanter ! mais la plaisanterie était de l’espèce ennuyeuse » (p. 35).

Il fallait s’en tenir, poursuit l’auteur, à réclamer une place pour une science située au delà des sciences exactes, et ne pas encombrer cette place avec d’absurdes fantaisies. Kant a été préoccupé d’une telle science toute sa vie, et il en ébaucha le plan dans les prolégomènes joints en 1783 à sa Critique de la raison pure. Il est temps d’achever ce qu’il a commencé à peine et de procéder, sur ses indications, à cette réforme complète de la métaphysique si souvent annoncée ou espérée. « On croira difficilement, en effet, qu’une science de la métaphysique ne soit pas un besoin, en un âge où est devenue si chancelante la croyance en la vérité des religions transmises qui nous expliquaient les causes premières et les fins de la nature, sans que pourtant le besoin d’une religion ait décru » (p. 2). L’éthique et la religion achèvent toute connaissance humaine, et la route à frayer maintenant doit nous y conduire.

Tâchons de saisir la suite des idées de M. Romundt sans nous égarer aux détours un peu laborieux de son livre.

Kant, en attribuant à l’entendement (Verstand) le principe de causalité sur lequel se fondent les sciences physiques, a montré que l’esprit procède dans la physique de la même manière que dans la mathématique ;

  1. J’emprunte aux trois ouvrages suivants du philosophe : Kant und die Epigonen, — Zur Analysis der Wirklichkeit, — Die Klimax der Theorien.