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sion est donc due à ce que les conditions de l’expérience ne mettent pas à notre disposition des éléments suffisants de détermination.

Constatant que, avec un objet plat, on ne peut intervertir la gauche et la droite, le haut et le bas du visum, M. Egger y trouve une « preuve évidente que ces deux sortes de positions correspondent aux dimensions données, et que la troisième dimension, dont nous pouvons ainsi jouer à notre gré, n’est qu’une inférence, un produit de notre imagination constructive. » En fait, il n’y a, je crois, dans les deux cas, que des signes à interpréter, selon l’expression de Helmholtz, et l’illusion résulte simplement de l’insuffisance des signes.

Si l’on voit trois points et si l’on fixe le regard sur celui du milieu, on a les mêmes difficultés que précédemment à situer exactement les deux points latéraux, mais le trouble ou la netteté de leurs images n’a aucune importance au point de vue de la localisation à droite ou à gauche, car cette localisation est déterminée d’une façon certaine par le côté de la rétine où se peint l’image, que cette image soit nette ou trouble, simple ou dédoublée au point de vue de la vision binoculaire. En combattant par l’imagination cette localisation, on se heurte à une association inséparable entre la sensation éprouvée et la prévision que, en tournant l’œil à droite ou à gauche, on amènera tel ou tel point centre de vision : la défaite de l’imagination et de la volonté est donc inévitable. La contre-épreuve se trouve dans l’expérience de la boulette que l’on fait rouler entre deux doigts entre-croisés.

Que dire maintenant de l’expérience du journal qui paraît à une distance indéterminée (p. 498) ? Il est incontestable que, avec un seul œil immobile, il est impossible d’avoir une perception de la distance. Même avec les deux yeux, la fixité fait disparaître cette perception, qui résulte alors de la convergence des rayons visuels, attendu qu’il est impossible d’apprécier la contraction constante d’un muscle.

Je dirai donc, pour résumer cette trop longue discussion, que les observations de M. Egger sont extrêmement intéressantes, mais qu’elles n’ont qu’une portée restreinte, pouvant se réduire à la proposition suivante : Lorsque, par la fixité du regard, on supprime les conditions essentielles à la perception du relief, cette perception devient assez faible pour être vaincue par l’imagination, ou plutôt cette perception disparaît et le relief est entièrement soumis à l’imagination, dont la liberté n’est entravée que par les associations habituelles. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sentiments tout dévoués.

G. Lechalas.