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culière. Je veux parler de la distinction entre l’aboulie proprement dite et l’inhibition.

Cette distinction est-elle légitime ? N’y a-t-il là qu’une simple différence de degré entre des états faibles et des états forts, identiques au fond ; ou bien y a t-il deux mécanismes psychiques différents ? M. Langle adopte cette dernière manière de voir et je voudrais ajouter quelques arguments à ceux qu’il a déjà fournis à l’appui de son opinion.

Il me faut pour cela quelques préliminaires psychologiques.

Si nous considérons dans son ensemble le tableau des images mentales ou représentations subjectives, tableau qui reproduit en nous tout ce que nos sens nous ont appris du monde extérieur et de nous-mêmes, nous apercevons facilement dans ce tableau des régions distinctes les unes des autres.

Une de ces régions, divisible elle-même en plusieurs départements, renferme l’ensemble des images visuelles, auditives, tactiles, etc., relatives aux objets extérieurs. C’est la représentation du monde externe, c’est la partie objective, qu’on me passe l’expression, de notre subjectivité[1].

J’insiste sur le caractère objectif des images du monde extérieur. Des psychologistes éminents professent que ces images ne s’extériorisent qu’autant qu’elles passent à l’état fort, à l’état de sensation ou d’hallucination ; que si leur tendance hallucinatoire est enrayée, elles nous apparaissent comme internes.

La vérité est qu’elles nous apparaissent comme images, comme ombres ou fantômes s’effaçant devant la réalité visible et tangible ; mais, fortes ou faibles, elles gardent toujours leur caractère d’extériorité.

Toutes les fois, dit Falret (Maladies mentales, page 280), qu’un souvenir relatif à une sensation est ramené dans le présent, par un acte de l’imagination, il est immédiatement et nécessairement rejeté dans le monde extérieur ; ainsi le veut la constitution de l’entendement humain.

Pour qu’il en fût autrement, il faudrait que les notions de distance, de localisation dans le temps ou dans l’espace, notions qui en général adhèrent fortement à l’image, fussent totalement effacées. Pour mon propre compte, j’avoue qu’il m’est impossible quand je me représente un monument, une ville, un objet quelconque, de ne pas voir mentalement cet objet à sa place réelle. Jamais je ne le vois au dedans de moi. Toujours la vision garde son caractère d’extériorité.

Quand il nous arrive de rentrer le soir dans notre appartement obscur, nous nous guidons par les images des objets bien connus qui nous entourent et par les notions de leur position dans l’espace. Quand nous avons fait de la lumière, les images passent de l’état faible à l’état fort sans pour cela changer de place. Elles gardent toujours, je le répète, le même caractère d’extériorité.

Cela est tellement vrai que lorsque nous voulons nous représenter

  1. Rabier. Leçons de philosophie, pages 140 et 419.