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SOCIÉTÉ DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE[1]


LES TROIS PHASES SUCCESSIVES DU RETOUR À LA CONSCIENCE APRÈS UNE SYNCOPE

Tout récemment, je me fis une violente contusion à une jambe ; trois heures plus tard, je ressentis, en montant un escalier, une douleur tellement forte, que je fus sur le point de m’évanouir ; j’évitai la syncope complète en me couchant par terre, afin de diminuer l’anémie cérébrale ; j’éprouvai cependant une obnubilation intellectuelle tout à fait semblable à la « seconde phase du retour à la conscience, » tel que je l’ai décrit dans un premier article sur les conditions physiques de la conscience, en 1879[2]. Pendant quelques années, j’ai souffert de fréquentes syncopes et j’ai eu l’occasion d’observer sur moi-même la phénoménologie psychique du retour à la conscience ; je réunis ici les fragments de la description de ce retour, qui sont répandus dans le travail sus-dit, dans l’espoir qu’elle servira à démontrer une fois de plus que nous pouvons avoir des sensations simples, c’est-à-dire dépouillées non seulement de tout jugement, mais même de toute notion du sujet sentant. Herbert Spencer a tiré une conclusion semblable de la description de la conscience sous l’action du chloroforme qui lui a été fournie par un correspondant sûr et compétent, à peu près à la même époque[3].

Pendant la syncope, c’est le néant psychique absolu, l’absence totale de toute conscience ; puis, au commencement du retour, on éprouve à un moment donné un sentiment vague, illimité, infini, — un sentiment d’existence en général, sans aucune délimitation de sa propre individualité, sans la moindre trace d’une distinction quelconque entre le moi et le non-moi ; on est alors « une partie organique de la nature », ayant conscience du fait de son existence, mais n’en ayant aucune de son unité organique, ni de ses propres limites. Ce sentiment peut être très agréable si la syncope n’est pas due à une forte douleur, ou si on ne s’est pas blessé en tombant, et très désagréable s’il y a une cause quelconque de souffrance ; c’est la seule distinction possible : on se sent vivre et jouir, ou vivre et souffrir, mais sans savoir pourquoi on jouit ou on souffre, et sans savoir ce qui est le siège de ce sentiment. Telle est la première phase du retour à la conscience ; voici maintenant la seconde :

  1. Séance du 29 mars 1886. M. Charcot président.
  2. Atti della R. Accademia dei Lincei.
  3. Revue philosophique, octobre 1878.