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ANALYSES.Les criminalités espagnole et sicilienne.

société. — Mais le mal que, d’après l’auteur, aurait fait à la Sicile la maison de Bourbon, sera-t-il donné à la maison de Savoie, ou, pour mieux dire, à la collection de besoins nouveaux et d’idées nouvelles, dont elle s’est faite l’introductrice, de le réparer ? Peut-être. En tout cas, à mesure que l’Italie se modernise, la criminalité s’y nivelle, elle baisse par suite en Sicile, comme des causes analogues l’ont fait baisser non seulement en Corse, mais sous une latitude tout autre et à une époque plus ancienne, en Écosse où, à la belle époque des clans, la vendetta faisait autant de victimes que dans le midi de l’Italie, malgré le contraste de climats et l’éloignement des races. D’où je conclurai sans crainte : puisque des causes simplement sociales, routes, police, chemins de fer, éclairage au gaz, télégraphe, imprimerie, propagande religieuse ou scientifique, ont suffi à faire abaisser dans les pays dont il s’agit leur criminalité réputée endémique et constitutionnelle, cela prouve que des causes sociales, inverses mais semblables, ont pu et dû suffire à l’élever jadis au niveau d’où elle est en train de descendre. Naturam morborum ostendunt remedia.

Mais, parmi les causes sociales, est-il vrai que celles d’ordre économique jouent le premier et principal rôle, qu’elles soient la causa causarum, comme l’affirme M. Colajanni ? Lui accorderons-nous que « richesse publique soit publique moralité » ? Non. Ce ne sont pas des besoins et des intérêts seulement, mais des principes et des convictions qui mènent la vie, qui mènent l’histoire. Il y a plus de logique encore que de calcul dans les faits humains ; et si important que soit le côté économique des sociétés, il se subordonne à leur côté religieux, philosophique, juridique, politique, linguistique même, théorique en un mot. C’est la raison raisonnante des classes aisées du xviiie siècle, ce n’est pas la misère navrante du peuple de l’ancien régime, qui a préparé la Révolution française. C’est le catéchisme jacobin, ce n’est pas la détresse financière, ni la famine, ni la guerre même avec l’Europe, qui l’a fait marcher droit devant elle sur le corps de tous ses acteurs. Demandez à M. Taine, l’historien criminaliste (c’est là son originalité), je ne dis pas si c’est au climat et à la race, mais si c’est à la surexcitation fanatique des cerveaux ou à l’excès de la faim qu’il faut attribuer la floraison subite des crimes accomplis durant la Révolution. — A M. Lombroso qui explique la haute criminalité sicilienne par l’élément sémitique de la population, M. Colajanni objecte avec raison que le peuple sémite par excellence, Israël, est le moins criminel de tous les peuples. Mais à lui-même je demanderai : cette moralité hébraïque, la main sur la conscience, à quoi l’attribuez-vous à la profonde foi religieuse des juifs, reposoir séculaire de leur âme, ou à leur richesse, à leur bien-être, à leur bonheur ? N’oubliez pas que de tout temps, même au nôtre où ils sont persécutés encore, ils ont été, malgré leur or, les plus malheureux des hommes. — Restons en Sicile, si l’on veut. J’y apprends que Villari, dans ses Lettere meridionale, a été frappé de constater à la fois, dans les environs de Palerme, dans la Concha d’Oro, une aisance, une prospérité