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nous, 89 pour 100 sont de moins de trois mois. Et, après ces longueurs : les tribunaux de nos voisins comptent 52 pour 100, parfois 72 pour 100 d’acquittements !

II. Passons à la Sicile. M. Colajanni, qui vient de publier une instructive brochure sur la criminalité de cette île, sa patrie, est déjà connu par son livre sur il Socialismo. Avec un socialiste éclairé et modéré tel que lui, un sociologiste n’a pas de peine à s’accorder au moins sur un point fondamental : la prédominance des causes sociales du délit. À ceux qui expliquent ce triste phénomène par le climat et la race, il répond : « Le climat et la race ne sont pas devenus fort différents de ce qu’ils étaient dans l’antiquité et au moyen âge, à Syracuse, à Rome, dans la Grande Grèce, à Florence, à Venise. Le climat et la race étaient à peu près les mêmes au moyen âge qu’aujourd’hui, en Angleterre, en France, en Suisse. Pourtant, aujourd’hui, le privilège de la plus grande criminalité appartient à l’Italie ; alors, il appartenait à ces autres États, qui ont eu, eux aussi, leurs célèbres brigandages, la Jacquerie en France, l’anabaptisme en Suisse et en Allemagne, les troubles de Wat-Tyler en Angleterre. » Dans un article (janvier 1885), j’ai développé la même idée, et je me félicite de cette rencontre. Ajoutons que le climat et la race n’ont pas changé en Sicile où de 21 homicides annuels par 100 000 habitants, en 1864, on est arrivé en 1872-77 à 14 seulement, sans parler des nouveaux progrès survenus depuis ; ni en Corse, où les meurtres, de 65 par 10,000 habitants il y a trente ans, sont tombés à 13. — En déplorant l’intensité, malgré tout, de la criminalité sicilienne, qui, au troisième rang de la criminalité des provinces italiennes en 1882, a passé maintenant au premier rang et s’est ainsi élevée relativement si, absolument, elle a beaucoup baissé, M. Colajanni fait remarquer que cette prééminence ne se restreint pas aux crimes de sang, mais s’étend encore aux crimes contre les propriétés, en dépit de la fameuse inversion entre ces deux genres de crimes imaginée par les distributeurs géographiques du délit Les districts de Palerme, de Catanzaro, de Cagliari, tous les ans brillent autant par les premiers crimes que par les autres. D’autre part, dans le nord de la péninsule, le minimum est atteint pour toute espèce de délit, notamment en Vénétie. — Nous remarquerons que, sous ce rapport, la Corse diffère étrangement de la Sicile : le minimum pour les crimes contre les propriétés y coïncide avec le maximum des crimes contre les personnes. À quoi tient cette différence ? À une cause sociale : le socialisme agraire qui sévit en Sicile : avec une violence inconnue en Corse, par suite de raisons historiques. La division de la propriété restée féodale y jure avec la brusque modernisation opérée depuis 1860, et l’anarchie chronique sous le gouvernement impopulaire des Bourbons étrangers y a provoqué la naissance ou favorisé le développement de la Maffia, société de secours mutuels soit des malandrins contre les honnêtes gens, soit des honnêtes gens contre les voleurs et les assassins je ne prétends pas trancher la question. La misère rurale y est extrême, et les rapports très tendus entre les diverses classes de la