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ANALYSES.Les criminalités espagnole et sicilienne.

mariés et 6,730 femmes mariées, par 395 veufs et 2,226 veuves. Le célibat paraît donc être nuisible à la moralité chez les deux sexes, le mariage favorable ; mais le veuvage paraît plus favorable encore que le mariage à la moralité des hommes ( !), non à celle des femmes. Sauf le résultat paradoxal relatif au veuvage masculin, ces phénomènes se reproduisent dans les statistiques françaises. — Voyons l’influence de l’instruction. Dans la période 1859-62, il y a un condamné sur 381 hommes et 5,550 femmes ne sachant ni lire ni écrire, et sur 369 hommes et 2,416 femmes sachant lire et écrire. À moins qu’il n’y ait eu erreur dans les chiffres, je ne comprends pas que l’auteur vienne ensuite nous présenter ce résultat comme un témoignage en faveur du pouvoir moralisateur de l’instruction primaire. Évidemment, c’est le contraire. En tout cas, comme M. Agius le reconnaît, la statistique de 1883 est on ne peut plus fâcheuse pour ceux qui s’obstineraient à défendre cette thèse surannée. En effet, on trouve, cette année-là, 1 condamné sur 721 habitants illettrés (des deux sexes) et sur 461 sachant lire et écrire. On ne saurait donc attribuer en rien à l’instruction primaire la diminution de la criminalité espagnole dans les années antérieures. Par exemple, on a le droit de s’étonner que le changement opéré dans la proportion relative des divers genres de délit en 1883 soit précisément le contraire de celui qu’on aurait pu prévoir par suite du progrès des connaissances. Les délits qui ont augmenté relativement, pendant que les autres baissaient, ce sont, avons-nous dit, les délits contre les personnes. Qui plus est, à l’accomplissement de ceux-ci, les illettrés ont pris une part beaucoup moins grande que dans la période précédente. Parmi les condamnés pour assassinat, en 1883, 64 savaient lire et écrire, 67 non. Les premiers font presque la moitié du tout ; or la proportion des illettrés dans la population totale de l’Espagne est des deux tiers. Est-ce à dire que les lettrés, ou, si l’on aime mieux, les alphabétaires, soient moins voleurs par compensation ? Attendez : 1 condamné pour vol sur 6,453 habitants lettrés, et sur 8,283 illettrés. La proportion des premiers est toujours bien supérieure à ce qu’elle devrait être, à moralité égale. Je ne veux point certes abuser de ces données numériques pour en extraire des conséquences rétrogrades. Mais il s’en dégage au moins cette vérité : le dégrossissement intellectuel pur et simple n’est point moralisateur, il permet seulement à l’individu de puiser dans son petit savoir les ressources propres à satisfaire et à déployer ses inclinations naturelles, héréditaires ou traditionnelles. L’instruction primaire le fait tomber du côté où il penche : si un peuple est d’un tempérament astucieux, avide, les elle y multiplie les vols ; libertin, les attentats aux mœurs ; frondeur, rébellions et les émeutes ; sombre et passionné enfin, fier et cruel tel que le peuple espagnol, les homicides.

Un mot sur la justice espagnole : son état ne nous semble pas des plus brillants encore, bien que l’auteur nous vante les progrès de son zèle. Les procédures y traînent fort, si j’en juge par la durée des détentions préventives. 72 pour 100 seulement sont inférieures à 6 mois ; chez