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Jusqu’à un certain point de densité (difficile à préciser, je l’avoue, et variable probablement d’après l’état des mœurs), il y a rapport direct, mais, passé ce point, rapport inverse. M. Agius exprime la chose en disant que « la moralité d’un pays est en raison directe de la densité de sa population et en raison inverse de l’agglomération de ses habitants. Autant vaut dire, plus simplement, qu’ici comme ailleurs les deux extrêmes se touchent. La statistique espagnole nous fait voir effectivement que les populations les plus denses (dans ce pays où la densité générale est du reste très faible, à savoir de 33 habitants par kilomètre carré) sont les moins criminelles, mais elle nous montre aussi que les plus denses, quand elles renferment des grandes villes, telles que Grenade, Séville et Madrid, sont les plus criminelles. Les anciens voleurs de grands chemins s’embusquent aujourd’hui aussi facilement dans les foules de nos cités que jadis dans les bois. La densité de population est une condition de sécurité dans la mesure où elle permet aux hommes de se bien connaître sans se coudoyer, mais non quand elle leur permet de se coudoyer sans se connaître : encore une cause d’ordre social. — M. Agius observe aussi que les provinces du littoral, à deux ou trois exceptions près, présentent la moralité la plus grande. Ce sont les provinces, avec celles du Nord, les plus laborieuses et les plus éclairées. Cette immunité relative des régions maritimes est loin de se faire remarquer sur les cartes de la criminalité française dressées par M. Yvernès, surtout aux alentours de Bordeaux, de Nantes, du Havre, de Brest, de Marseille. Chez nous, ce sont les départements les moins lettrés des côtes, ainsi que de l’intérieur, qui tiennent le moindre rang sur l’échelle du crime et surtout du délit. En fait de crimes, non de délits, le Nord et le Pas-de-Calais font seuls, je crois, exception à cette règle générale. Mais, en Espagne, les grands ports et les grandes agglomérations sont rares, et cet élément perturbateur n’y vient point masquer l’influence salutaire du travail, des voyages, de l’émigration, de l’aisance, sur les populations riveraines de la Méditerranée ou de l’Océan. Or en ce qui concerne ces dernières notamment, à quoi tient leur activité de date assez récente comme leur prospérité, si ce n’est à des causes d’ordre social : à la découverte de l’Amérique qui leur a fourni un débouché, à l’invention des bateaux à vapeur, des chemins de fer, qui les a mises, comme en général toutes les provinces du Nord, en communication plus intime avec toute l’Europe plus civilisée par l’intermédiaire de la France ? Supposez l’Amérique non découverte, la locomotive non inventée, la France à l’état barbare, il est probable que les populations espagnoles les plus industrieuses, les plus riches, les plus douces de mœurs, seraient au Midi, comme au temps de la domination arabe.

Au sujet de l’influence du sexe, du célibat et du mariage, notons qu’en Espagne la proportion des femmes criminelles va en diminuant et celle des hommes en augmentant (celle-ci était de 90 pour 100 en 1883 ; en France, elle est de 84 p. 100) ; qu’il y a, par an, 1 délit commis par 158 célibataires hommes et 1,476 célibataires femmes, par 319 hommes