Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
664
revue philosophique

fournir. Tout au plus y a-t-il eu chez eux un commencement de correctionalisation par voie légale, mais non sans une tendance inverse à la criminalisation. Si, d’une part, leur code récent, de 1877, a fait descendre dans la classe des faltas nombre de coups et blessures poursuivis auparavant comme delitos, d’autre part, en revanche, tous les vols, si minime que soit leur importance, sont devenus des delitos et jugés comme tels au grand criminel. Par suite, la baisse survenue sur les delitos contre la propriété est encore plus significative qu’elle ne paraît l’être à première vue et offre un contraste d’autant plus marqué avec l’accroissement prodigieux des délits français du même genre auxquels les delitos de cet ordre correspondent exactement. Mais il résulte de la même observation que l’augmentation relative aux delitos contre les personnes acquiert plus de gravité. — En somme, si l’on additionne année par année les delitos et les faltas, on trouve, pour 1859, 86,000 environ, et, pour 1883, 86,000 aussi : coïncidence accidentelle, mais d’où il résulte tout au moins que la criminalité péninsulaire n’a pas grandi, et même si l’on décompose les chiffres, et si l’on tient compte du progrès de la population, qu’elle s’est affaiblie sensiblement. La nôtre, en délits et crimes totalisés, s’est élevée, de 48,000 environ en 1835, à 150,000 environ en 1880. Nous rétrogradons pendant que nos voisins progressent. Il n’en est pas moins vrai que notre criminalité totale est encore de 43 délits ou crimes seulement, et celle de l’Espagne de 50 delitos ou faltas, par 10,000 habitants. Il est vrai que, parmi les faltas, figurent des faits qualifiés chez nous contraventions et passés sous silence comme insignifiants par les criminalistes. En détaillant, il est aussi permis de ne pas trop envier l’état social de ce pays, où les homicides et assassinats, qui étaient en moyenne annuelle de 1,297 dans la période 1859-62, ont atteint le chiffre de 1,457 en 1883. C’est plus de deux fois le nombre français des crimes de tout genre ayant occasionné la mort : j’ai compté qu’il était de 700 juste dans cette même année 1883.

La population de l’Espagne n’égalant pas la moitié de la population française, il s’ensuit que la criminalité violente de ce peuple trop exercé au maniement du couteau est le quadruple de la nôtre. Mais tout ce carnage a le plus souvent pour cause une fureur irréfléchie, plus vindicative qu’intéressée, et la preuve c’est qu’il entre seulement dans le chiffre de 1883, si élevé, 120 assassinats. Chez nous, la moyenne annuelle des assassinats, y compris les empoisonnements, de 1876 à 1880 (et il y a eu augmentation depuis), a été de 211. Eu égard à la différence des populations, les deux chiffres se valent à peu près. Enregistrons, en passant, le nombre des condamnations à mort qui, dans la période de 1859-62, variait entre 31 et 39, et qui a été de 44 en 1883. Si l’Espagnol n’est pas, par conséquent, beaucoup plus féroce que le Français, l’Espagnole, toujours d’après la statistique, pourrait bien être beaucoup plus sage que la Française, en dépit du climat et des romanciers. Les infanticides, en Espagne, sont tombés de 132 en 1859-62, à 54 en