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ANALYSES.Les criminalités espagnole et sicilienne.

l’intervalle obscur de 1843 à 1859, il y a eu un tournant assez brusque de la délictuosité.

En effet, pour ne parler que des genres de crimes les plus importants, les crimes contre les personnes se chiffrent, en 1843, par 17,688 et les crimes contre les propriétés par 10,425, tandis que, dans les quatre années 1859-62, la moyenne annuelle est de 9,917 pour les premiers crimes et 20,741 pour les seconds. La violence paraît donc avoir beaucoup diminué et la cupidité avoir beaucoup grandi durant cette période. Et les chiffres ont ici d’autant plus de valeur que la population de la péninsule augmente vite : elle a monté de 12 millions en 1843 à 17 millions en 1883. Jusqu’ici, rien de surprenant : le mouvement signalé est l’effet ordinaire de la civilisation. Mais, à partir de 1859, nous constatons le mouvement inverse, phénomène à noter, malgré le relèvement de l’activité et de la prospérité espagnoles : les crimes contre les personnes ont un peu augmenté (10,647 en 1883 ; il est vrai qu’en 1884 on retombe à 9,187), et les délits contre les propriétés ont beaucoup baissé (11,962 en 1883, 9,599 en 1884). Pourtant, si l’on tient compte de l’accroissement de la population et de la baisse survenue en 1884, on verra que l’augmentation de la criminalité violente n’est qu’apparente par rapport à 1862 et s’échange en une réelle diminution relativement à 1843. Ce qui est vraiment digne de remarque et crée à nos voisins du Midi un privilège exceptionnel, c’est la baisse considérable des délits contre les propriétés, même depuis 1843, et surtout depuis 1862.

Au reste, depuis 1843, sans interruption, le chiffre total des crimes (delitos) de tout genre n’a cessé de descendre en 1843, 38,620 ; en 1859, 37,414, etc. ; en 1862, 35,940 ; en 1883, 27,249 ; en 1884, 22,923. Telle a été l’amélioration morale de l’Espagne pendant, que, chez nous, dans le dernier demi-siècle, la criminalité ou du moins la délictuosité s’élevait du simple au triple !

Il n’y a plus chez nos frères latins qu’une moyenne actuelle de 16 delitos annuels par 10,000 habitants, tandis qu’en France la moyenne des 40 années de 1840 à 1879 a été de 39 par 10,000 habitants. Actuellement elle doit être bien plus forte.

Pour ne pas trop prolonger notre humiliation, empressons-nous d’ajouter que, outre les delitos, qui sont principalement des crimes quoiqu’ils embrassent beaucoup de faits jugés chez nous correctionnellement, la statistique criminelle espagnole comprend les faltas et que les faltas sont, en majorité, de vrais délits, beaucoup plus que des contraventions. Or, de 1859 à 1862, les faltas se sont abaissées de 49,000 à 39,000 environ ; mais, en 1883, elles se sont élevées à 59,000 et il y a une légère augmentation encore en 1884. Les faltas montent pendant que les delitos descendent. N’y aurait-il pas eu en Espagne pour rendre compte de cette anomalie superficielle quelque chose d’analogue à notre correctionalisation, c’est-à-dire une tendance judiciaire croissante à qualifier falta ce qui est légalement delito ? Non, d’après des renseignements épistolaires que M. Agius a eu l’obligeance de me