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que Strauss veut pousser dans sa confession, dans l’exposé de ses idées sur le monde et la vie qui lui ont donné à lui-même la paix intérieure et l’ont réconcilié avec les lois de l’Univers. En nous démontrant clairement l’inanité des anciennes représentations, son but unique est de nous détourner de leur emprunter les motifs de nos actions ; il veut que nous nous placions résolument avec notre morale sur le terrain nouveau. La grande question historique et philosophique qui a engagé Strauss à prendre pour la dernière fois la plume, et qui l’avait d’ailleurs excité à méditer pendant plusieurs années sur la foi ancienne et la foi nouvelle, peut s’énoncer en ces termes : Notre conception du monde, telle qu’elle résulte des sciences physiques et historiques modernes, rend-elle le même service que les anciennes idées de l’Église ? est-il possible de fonder sur elles l’édifice d’une véritable existence humaine, c’est-à-dire morale et par là heureuse ? La réponse donnée par Strauss est celle-ci : Oui, car l’existence terrestre de l’homme porte en elle-même sa loi, sa règle, comme elle porte en elle-même son but, ses fins.

Comment Strauss veut-il procéder pour élever sur la nouvelle fondation l’édifice d’une morale pratique ? Il faut envisager les lois morales dans leur nécessité absolue ; il ne faut pas les dériver seulement du besoin social, mais de la nature et de l’essence de l’homme. Le point de vue philosophique est de ne point s’appuyer sur un commandement divin, mais de rester sur le terrain de la nature humaine afin de trouver une règle pour les actions humaines. Notre morale doit donc être fondée sur une base autonome, telle que Kant a cherché à en établir une et telle qu’il l’a posée dans une certaine mesure. Strauss est d’accord avec le moraliste le plus profond et le plus sérieux, avec l’homme rigide de l’impératif catégorique, qui peut être appelé un législateur moral de la nation allemande, et auquel on n’a encore jamais reproché que sa morale n’ait pas été assez sévère ou qu’elle ait porté de mauvais fruits. Le point de départ, le but, l’enchaînement des idées que nous offre l’éthique, dont Strauss a essayé de tracer les lignes fondamentales, concordent tout à fait avec la « Base de la métaphysique des mœurs », devenue classique.

Que nous commande la loi morale dérivée de l’essence de l’homme ? N’oublie jamais que tu es un homme et non un simple être de la nature, que tous tes semblables sont également des hommes, c’est-à-dire sont ce que tu es, malgré toutes les différences individuelles, et ont les mêmes besoins et les mêmes droits. Voilà, nous dit Strauss, la somme de toute morale. Est-ce que cela n’est pas identique à la règle