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ANALYSES.g. c. robertson. Hobbes.

nature à l’esprit : Hobbes, plongé dans des considérations objectives, est un philosophe surtout à cause de la portée de ses vues scientifiques et de sa tendance à donner aux hommes des règles de conduite. Le monde, considéré au point de vue des phénomènes, est formé, selon Hobbes, de corps naturels (inanimés ou animés) et de corps politiques, agrégats organiques composés d’hommes vivants. Pour expliquer tous les phénomènes naturels et sociaux, Hobbes devait donc traiter complètement ce qui peut être appelé indifféremment la Science ou la Philosophie : La philosophie naturelle, la philosophie morale, ou, selon sa manière de dire, la philosophie civile, sont pour lui, comme pour la plupart de ses prédécesseurs, les deux parties principales de l’étude à laquelle doit se livrer un seul et même penseur. Mais il se sépare d’Aristote et des scolastiques en ne reconnaissant d’autre voie d’investigation que celle dans laquelle étaient entrés les nouveaux physiciens. Il croit qu’il est nécessaire de discuter d’abord les conceptions les plus générales de la science, mais il se contente d’intituler De Corpore le traité où il examine ce qu’il appelle, après Aristote, la philosophie première et expose ses doctrines mathématiques et physiques. Le mot Corps, substitué au mot Nature, caractérise bien la pensée de Hobbes : le corps n’est pas opposé comme la nature à la société, mais il est le premier terme d’une série conduisant à la société ou à l’État. L’État ne doit pas être uniquement considéré sous sa forme actuelle comme un corps politique, mais plutôt dans son origine, comme le produit de l’intelligence humaine cherchant la satisfaction des besoins de l’homme. L’homme, dont la nature contient le fondement des institutions civiles, se distingue de tous les autres corps naturels ; il est intermédiaire entre la Nature et la Société. C’est de ce point de vue que Hobbes conçut le projet des trois traités systématiques de Corpore, de Homine, de Cive, qu’il se proposait de publier successivement. Aucun homme de cette époque ne s’est élevé à une telle explication scientifique et progressive, et il faut aller jusqu’à A. Comte et jusqu’aux autres penseurs de notre siècle pour trouver une conception aussi claire et aussi compréhensive. Hobbes se distingue ainsi tout à la fois des métaphysiciens et de l’école psychologique qui commence avec Locke. Il se tient à part dans son époque et dans son pays : il est ambitieux de construire un système bien lié dans toutes ses parties, mais il limite sa pensée au monde de l’expérience, et il se propose un but absolument pratique. Il ne se borne pas, comme Bacon, à faire des plans pour les autres, il construit lui-même un édifice d’après le plan qu’il s’est tracé.

Il est impossible de conjecturer ce qu’eût pu produire Hobbes dans ses années de vigueur intellectuelle si la Révolution n’était venue interrompre ses méditations et troubler l’ordre qu’il s’était proposé de suivre dans la construction de son œuvre.

Les événements qui se produisirent à partir de la condamnation de Hampden en 1637 l’amenèrent, en effet, à abandonner ses Études sur le corps et sur l’homme pour s’occuper de la partie politique de son sys-