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Il en donna une traduction à l’âge de quarante ans : à côté du scholar, nous trouvons déjà dans la préface un homme qu’intéressent les questions politiques. Il connut Bacon, dont il mit en latin quelques-unes des œuvres, mais il ne semble ni qu’il soit devenu son disciple, ni qu’il se soit proposé, comme l’affirme Kuno Fischer, de compléter son œuvre en faisant pour le monde moral ce que Bacon avait fait pour le monde physique. Il connut aussi Herbert, créé baron de Cherbury en 1631, qui publiait en 1624 son livre de Veritate ; si Herbert est le fondateur de la critique rationaliste en religion, Hobbes doit être considéré comme son successeur immédiat, quoiqu’ils partent l’un et l’autre de points de vue différents. Il eut aussi pour amis Ben Johnson et sir Robert Ayton, auxquels il soumit, avant l’impression, sa traduction de Thucydide.

En 1628 mourut son maître et ami. En 1629, il accompagna sur le continent le fils de sir Gervase Clifton. Il séjourna dix-huit mois à Paris, où Richelieu travaillait à rendre absolue l’autorité royale. Appelé en 1631 à faire l’éducation du fils de son ancien maître, Hobbes essaya d’en faire un bon chrétien, un bon sujet, un bon fils. Il se lia avec les membres du parti politique qui se groupait en 1633 autour de lord Falkland. En 1634, il est à Paris avec son élève ; en avril 1636 il est à Florence ; il est de nouveau à Paris vers le milieu de 1636.

C’est alors qu’il commence à être compté parmi les philosophes. Il nous raconte lui-même, et Aubrey nous donne sur ce sujet des détails plus précis, qu’il n’avait pas, avant l’âge de quarante ans, donné son attention à la géométrie. Ouvrant un jour par hasard les Éléments d’Euclide, il tomba sur la quarante-septième proposition du premier livre « Par Dieu, dit-il, cela est impossible ! » Il lut la démonstration et toutes les propositions auxquelles l’auteur renvoyait. Il fut convaincu et prit goût à la géométrie, préférant toutefois la manière dont on y raisonne à la matière qu’on y traite. À son troisième voyage, un autre sujet s’empare de son esprit : nuit et jour il s’occupe du mouvement dans la nature. Peut-être faut-il reporter à son second voyage ses réflexions sur la nature de la sensation, qui lui furent suggérées à la suite d’une conversation où l’on s’était demandé, sans y répondre d’une manière satisfaisante, ce qu’il convenait d’entendre par la sensation. En tout cas, il était bien préparé, dans son troisième voyage, à apprécier les découvertes scientifiques. Il vit Galilée en 1636 et conçut l’admiration la plus vive pour l’homme qui avait « le premier ouvert les voies à une philosophie naturelle de l’univers. » Il entra en relations avec Bérigard, un des disciples les plus distingués de Galilée. Mais c’est surtout à Paris que sa pensée et ses recherches prirent une direction caractéristique. Après ses relations avec le père Mersenne, il passa définitivement, à près de cinquante ans, dans les rangs des philosophes. Il regagna l’Angleterre, la tête remplie de projets philosophiques, l’année même où Descartes donnait le Discours de la Méthode.

Descartes s’était occupé d’abord de comprendre la relation de la