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ANALYSES.p. mougeolle. Problèmes de l’histoire.

si commodément sans en être plus explicatif pour cela. L’adaptation physique de l’homme à son milieu, qu’est-ce que cela, au fond, si ce n’est l’ensemble des ingéniosités organiques, des modifications heureuses trouvées par les êtres vivants et qui ont permis à un individu d’abord, puis à une famille héritière de son aptitude, de résister victorieusement aux forces délétères du milieu en question, et d’y prospérer malgré ces obstacles ? Lutter contre, voilà d’ordinaire ce que signifie s’adapter à. L’adaptation sociale de l’homme à son milieu, est-ce autre chose ? Non. Par nos maisons bien closes et bien chauffées, par nos vêtements, par notre nourriture, par l’ensemble des ingéniosités sociales qui constituent notre industrie et notre agriculture, nous luttons contre les intempéries, le froid, la pluie, les ténèbres de la nuit, les sécheresses et les disettes partielles, en un mot contre tous les dangers de mort ou de rechute dans la barbarie que nous rencontrons dans la nature ambiante. Nous nous adaptons industriellement à elle comme le bouclier s’adapte à la flèche ennemie. Il s’agit non de nous conformer à elle, mais, s’il se peut, de la réformer, et, son obstacle une fois dompté, de la transformer en moyen propre à servir nos fins, nos fins qui n’ont pas leur principe en elle, mais en nous, nos besoins artistiques ou théoriques dont la satisfaction exquise et fugace, délicieuse et capricieuse, est le libre emploi du milieu par l’homme, non de l’homme par le milieu. Or, l’homme social est-il constitué essentiellement par ces fins positives, qui consistent à atteindre de hautes sources de joies originales et factices, ou par ces fins négatives qui ont pour objet la suppression de douleurs naturelles ? Définirons-nous négativement la civilisation l’ensemble des forces qui résistent à la barbarie ou à la nature, comme Bichat a défini négativement la vie l’ensemble des forces qui résistent à la mort ?

Si j’avais le temps, j’analyserais ici cette idée de cause qui est si mal entendue en histoire et ailleurs. On voit, par ce qui précède, que je suis porté à identifier le rapport de causalité avec celui de répétition et que je ne me borne pas, comme M. Mougeolle, à chercher l’équivalence, mais que je prétends découvrir une ressemblance précise entre le phénomène réputé cause et le phénomène réputé effet. Je crois que la vraie cause d’une onde physique, c’est l’onde précédente, que la vraie cause d’un être vivant, c’est son générateur, que la vraie cause d’une action sociale quelconque, parole, rite, service, etc., c’est l’action dont elle est la copie consciente ou inconsciente. Je maintiens qu’entendue autrement l’idée de cause perd toute clarté, et doit être bannie des sciences exactes. Si l’on identifie la causalité avec l’adaptation, comme M. Mougeolle, ou avec le rapport de condition à conditionné, comme tout le monde, il se trouve que la soi-disant cause agit soit à titre d’obstacle, soit à titre de moyen, mais, dans l’un et l’autre cas, par suite de la préexistence d’une fin, d’une volonté, tout au moins d’une impulsion interne et propre, véritable cause à coup sûr ; et, quand on parvient à résoudre la difficulté de comprendre comment cet obstacle peut para-