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de fait, la salacité des Esquimaux est notoire. À propos de cette considération thermique, je ferai remarquer que, si le transport des civilisations de l’équateur au pôle signifie la recherche de températures de moins en moins chaudes par la civilisation en progrès, on doit s’étonner de la voir descendre en même temps des hauts plateaux aux vallées basses (phénomène d’ailleurs nullement général), c’est-à-dire se diriger vers des lieux de plus en plus chauds. La loi de la latitude, si on lui donne cette signification toute physique, toute conforme à la théorie du milieu, serait donc contradictoire à la loi de l’altitude. La vérité est que la première, comme je crois l’avoir montré ici même (en janvier dernier), n’a rien de constant ni de général et n’exprime que la combinaison momentanée d’une vraie loi sociologique, celle de la tendance des inventions civilisatrices à se propager indéfiniment dans tous les sens, avec certaines circonstances géographiques ou historiques données. Quant à la seconde, elle n’est pas plus exacte. Sans doute je sais bien que, dans l’antiquité, on a vu les villes fortes, perchées sur les hauteurs, s’écouler peu à peu et se rebâtir au pied de leurs coteaux, à mesure que l’aisance et la sécurité s’établissaient dans l’ouvrage de M. Lenormand sur la grande Grèce, on en voit de jolis exemples. Je sais aussi que ce fait s’est répété dans les temps modernes : sous chacun de nos châteaux forts un village ou une ville va se déployant. Mais d’abord est-il vrai que la civilisation ait débuté sur les hauts lieux ? Point du tout, pas même en Amérique, où les plateaux des Incas et des Aztèques ont reçu la lumière d’en bas ; et, dans l’ancien monde, c’est à l’embouchure des grands fleuves qu’ont fleuri les premières cités. L’ascension vers les sites élevés a dû être un fait subséquent. D’ailleurs, peu importe. Ce qui est certain, c’est que la descente et aussi bien l’ascension dont il s’agit ont été subordonnées à certaines inventions, notamment militaires, qui ont rendu parfois les lieux élevés plus sûrs, ou à certaines autres inventions, notamment maritimes, commerciales et industrielles, qui ont rendu les sites bas plus avantageux. Longtemps les armes de jet, telles qu’on les connaissait, ont prêté aux citadelles escarpées une supériorité indiscutable. À présent, les perfectionnements des armes à feu donnent l’avantage aux places fortes en rase campagne. Mais il suffit d’une invention nouvelle pour contraindre les forteresses à regrimper sur les rochers. Qui aurait dit, il y a quelques années, que l’invention des torpilles mobiles ferait perdre aux grands cuirassés les neuf dixièmes de leur valeur ?

S’il était vrai que le milieu, comme l’affirme M. Mougeolle, eût fait les races humaines, on devrait lui attribuer la totalité de l’influence qu’on divise habituellement entre ces races et lui. En somme, cet écrivain pense que le milieu doit être réputé cause de la race, parce que la race n’est qu’une adaptation physique de l’homme à son milieu, et cause de la civilisation, parce que la civilisation n’est que l’adaptation sociale de l’homme à son milieu encore et toujours. Mais il faudrait bien s’entendre une bonne fois sur ce mot d’adaptation qui s’adapte à tout