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de l’altitude, et des latitudes équatoriales aux régions polaires. Tout cela est contestable ou connu ; mais, pour voir à quel point sont vagues et insuffisants ces résultats où nous conduit le point de vue général de l’auteur, imaginons qu’un naturaliste se propose de résoudre les problèmes de l’histoire naturelle en procédant de la sorte. Il nous dirait que les faits vitaux ont des rapports constants, mais sans préciser lesquels, et qu’ils sont équivalents quand ils s’engendrent, mais sans définir cette équivalence, si ce n’est en expliquant que les faits dont il s’agit doivent être d’une importance égale. Il ajouterait que les types vont se différenciant, sans distinguer les différentes voies de cette différenciation indéterminée. Il terminerait en nous apprenant que la coloration des animaux et des plantes devient de plus en plus terne et pauvre à mesure qu’on s’avance de l’équateur aux pôles ou des vallées au faîte des monts… Certes, je ne veux pas nier l’influence modificatrice de l’altitude ou de la latitude sur les espèces organiques, mais il est certain qu’elle est secondaire et qu’avant tout elle suppose la formation de celles-ci en vertu de causes à découvrir. Ces causes, nous le savons, ne peuvent être que des variations individuelles apparues spontanément, et propagées par l’hérédité, soit qu’on juge celles-ci assez fortes du premier coup pour former de nouveaux types, cas exceptionnels de tératologie ou d’hybridité par hasard fécondes, soit qu’avec Darwin on les croie légères, mais accumulées peu à peu, sélectivement, par la répétition héréditaire qui en même temps les propage. En somme, c’est à des accidents individuels que le darwinisme lui-même a recours pour expliquer les progrès de la vie. Cet exemple aurait pu rendre M. Mougeolle moins sévère à l’égard des historiens et des philosophes du passé, de Voltaire après Pascal, qui attribuent une réelle importance aux accidents historiques. Il est choqué de la disproportion apparente entre la grandeur des résultats et la petitesse des causes ; mais ne sait-il pas, ce mathématicien, que le fini trouve sa raison d’être dans l’infinitésimal ? Quoi de plus invraisemblable a priori que d’imputer au transport d’un ou deux animalcules la destruction de tous nos vignobles français, ou à l’importation de quelques microbes une épidémie européenne ? Pourtant cela n’est pas douteux, et si l’on songe que le microbe ou l’insecte en question a pour essence de se multiplier par génération, on cesse de trouver la chose étrange. Et de même, si l’on m’accorde que la nature d’un fait social est de se répandre par imitation, on ne repoussera plus comme absurde l’explication des grands faits historiques, transformations religieuses, politiques ; morales, linguistiques, par la multiplication d’un petit fait en partie fortuit et, à l’origine, inaperçu. Ce que je concède à l’auteur, c’est que le rôle prêté ici aux rois, aux prophètes, aux hommes d’État, a été singulièrement exagéré ; mais il est loin de faire aux inventeurs, souvent obscurs, je le reconnais, leur part légitime. Il semble croire les grandes découvertes ou inventions presque fatales à leur date, sans se demander si, quand elles le sont, cela ne tient pas à des découvertes ou