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conclusion que l’évolution n’est point le fondement de la moralité, mais la manifestation du principe dont elle dépend. La moralité ne peut être expliquée par le moyen de son propre développement, sans référence à la conscience de soi qui rend ce développement possible. Quelque valeur que possèdent les renseignements que nous tirons de l’expérience relativement à l’évolution graduelle de la conduite, sa nature et sa fin peuvent être expliquées seulement à l’aide d’un principe qui dépasse l’expérience.

La théorie de M. Sorley ne nous paraît pas assez développée dans son volume pour qu’il y ait profit à l’examiner et à la soumettre à son tour à une critique rigoureuse. Je n’insisterai pas non plus sur les arguments qu’il donne contre la théorie de la morale hédoniste ou évolutionniste. Il serait long de les passer tous en revue, et quelques-uns sont bien connus, je me bornerai donc à signaler une très intéressante étude sur les rapports de l’hédonisme et de l’évolutionnisme, et une critique sévère des fins que peut offrir la théorie de l’évolution, M. Sorley insiste souvent sur le désaccord du bien général et du bien individuel, il en conclut que la morale naturaliste ne peut imposer à l’individu la recherche du bonheur général aux dépens de son propre intérêt. Cette raison qui n’est pas bien neuve est appuyée de considérations ingénieuses. M. Sorley conteste la valeur de l’évolution au point de vue de l’augmentation de la quantité des plaisirs, il fait remarquer que l’évolution de la société n’implique pas toujours un accroissement du bonheur de ses membres : « la nature de la production économique semble impliquer une opposition entre le progrès social et le bien-être des individus. »

Mais les évolutionnistes peuvent sans doute proposer à la morale une autre fin que le plaisir ou le bonheur. M. Sorley critique les différentes fins que l’on peut proposer en ce sens et en particulier celles que peuvent offrir les formules de M. Spencer. Il montre ou tâche de montrer que les buts concrets proposés par l’évolutionnisme, le bonheur ou l’accroissement de la vie ne peuvent se défendre, et que l’on en est réduit à des formules très vagues si l’on veut éviter les objections. « Que la conduite morale, dit-il, se distingue par sa qualité d’être définie et cohérente, qu’elle soit dirigée vers un but déterminé et que les différentes actions qui la composent soient en harmonie les unes avec les autres, et forment les parties d’un tout, cela peut s’admettre, mais cela est au plus une description purement formelle de ce que signifie la moralité de la conduite. Dire que la conduite doit être un tout cohérent et doit tendre à une fin déterminée par des moyens appropriés, laisse sans solution la question de savoir quelle doit être cette fin ou quels sont les meilleurs moyens pour l’atteindre. » Ainsi la difficulté de concilier les fins individuelles et les fins sociales, l’impossibilité de l’interprétation hedonistique de l’évolution, et le fait que la théorie évolutionniste n’apporte pas un idéal moral indépendant, amènent M. Sorley à la conclusion que l’évolution considérée au point de vue de l’empirisme, si elle conduit à des résultats au point de vue scientifique, reste absolu-