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Il peut y en avoir de deux sortes, selon que vous commencerez par poser des entités réelles, éternelles, spirituelles, et que vous descendrez de là au monde de l’homme, ou que vous poserez seulement des phénomènes et des lois. Dans le premier cas, vous aurez un système métaphysique de morale ; dans le second cas, un système physique. » Le premier volume de l’ouvrage de M. Martineau est consacré aux systèmes non psychologiques, représentés par les théories métaphysiques de Platon, Descartes, Malebranche, Spinoza et la théorie physique de Comte. Le tome II est consacré aux théories psychologiques qui se divisent elles-mêmes en deux branches, la branche idio-psychologique et la branche hétéro-pyschologique. La dernière est caractérisée par le fait que l’on cherche à tirer la morale de phénomènes psychologiques qui ne sont pas proprement moraux, comme le plaisir ou la sympathie. Dans l’autre, au contraire, c’est la conscience morale elle-même que l’on consulte directement et qui est à la base de tout le système. C’est ici que se place la théorie de M. Martineau. Les systèmes étudiés comme hétéro-psychologiques sont outre ceux des utilitaires et des évolutionnistes hédonistes, ceux de Cudworth, Clarke, Price, Shaftesbury et Hutcheson.

Pour M. Martineau, la morale implique le libre arbitre : « ou le libre arbitre est un fait, ou le jugement moral est une illusion ». La moralité est une chose d’ordre intérieur et psychologique, les conséquences d’un acte ont sans doute leur importance pratique, mais ce qui détermine la qualité morale d’un acte, ce sont les causes et les tendances, que le libre arbitre a laissées agir. « L’existence morale n’est pas constituée par un organisme simple ou complexe et par des instincts déposés dans cet organisme… mais par la présence d’un sujet conscient, libre et réfléchi, pour qui l’organisme et les instincts sont des faits objectifs… » Une des conclusions de l’auteur est que « les objets de notre jugement moral sont d’abord les motifs intérieurs de nos actions conscientes, comme librement choisis, ou écartés, » et nous sommes rendus capables d’exercer ce jugement par une conscience inséparable de la présence simultanée de plusieurs motifs d’action qu’il y a entre eux un ordre de valeur relative qui nous oblige à choisir le meilleur et à repousser le pire. »

La morale de M. Martineau est donc simplement, dans ses lignes générales, la morale ordinaire de l’obligation. Comment se justifie cette obligation ? Quelle raison avons-nous de nous fier à elle et de lui obéir ? M. Martineau voit bien ces questions, mais il ne cherche pas à les résoudre. « Une théorie, dit-il dans sa préface, déduite comme celle qui est exposée dans les pages suivantes d’une pure interprétation de la conscience morale, est exposée à cette objection qu’elle dépend d’un acte de foi elle tombe d’un coup pour celui qui se persuade que la conscience morale ne doit pas être crue. S’il ne peut accepter comme vraie son assurance intérieure du libre arbitre et d’une autorité divine, l’organisme complet des règles déduites tombe en ruines. »