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BERTRAND. — le corps et l’esprit

où un effort désespéré de volonté rompt la léthargie : Chrecton raconte qu’une jeune femme qu’on allait mettre en bière et qui était déjà revêtue du linceul, entendait les chants sacrés, comprenait la lugubre cérémonie et ne pouvait ni tendre les bras, ni crier, ni ouvrir les yeux. On allait clouer le couvercle : la pensée d’être enterrée vivante remplit son âme d’une terreur indicible, une sueur se produisit sur tout le corps, on suspendit les funèbres préparatifs. « Quelques minutes après, la jeune femme donna des signes évidents de retour à la vie ; elle ouvrit les yeux et poussa un cri à fendre l’âme. » Il serait curieux de savoir par quels moyens la volonté agit sur le corps dans ces cas extraordinaires. Est-ce par l’intermédiaire de l’idée, de l’image, de l’émotion ou par toutes trois à la fois ? Ceux qui ont le pouvoir de remuer les oreilles soit séparément, soit toutes deux ensemble, de hérisser leurs cheveux, de provoquer des sueurs, ou le retour des aliments ingérés par leur seule volonté, ceux-là n’en savent probablement pas plus, en physiologie subjective, que nous n’en savons nous-mêmes quand nous remuons le petit doigt. Cureau de la Chambre nous fournit une explication plausible, si toutefois on peut appeler explication ce qui n’est peut-être que l’énonciation pure et simple du fait. Les images seraient localisées non pas dans le cerveau seulement, mais dans tout le corps ; la mémoire du pianiste serait littéralement au bout de ses doigts ; la volonté ne ferait que susciter dans le cerveau les images du mouvement prémédité et voulu ; au fond de l’organisme les images similaires qui s’y trouvent déposées et localisées s’illumineraient soudain, et comme l’image est un mouvement, aussitôt surgiraient les mouvements élémentaires qui concourent au mouvement total. L’influence de la volonté se coulerait ainsi jusqu’aux confins de l’organisme : telle l’étincelle électrique jaillissant en un point dessine dans un tube ou sur une surface la figure préparée d’avance par les solutions de continuité du corps conducteur. L’esprit aurait un corps d’images dont le corps organisé ne serait que le réceptacle et l’expression mécanique. Tantôt ces images seraient innées ou héritées, et alors la volonté prendrait le nom d’instinct ; tantôt ces images seraient acquises et habituelles, et la volonté en disposerait dès lors avec une science et une conscience plus parfaites. De nouveau le corps nous apparaîtrait comme l’habitude de l’esprit : le mouvement instinctif ou habituel ne serait que l’image réalisée et l’image que la volonté en arrêt. M. Arloing a démontré qu’il y a des dissociations et des associations nouvelles de mouvements instinctifs uniquement produits par l’influence de la volonté[1]. Les mouvements instinctifs seraient donc, eux aussi, des

  1. Annuaire de la Faculté des Lettres de Lyon, 1885.