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deux mots, ni même ne les avait jamais entendu prononcer. Quelle preuve de l’existence des esprits ! C’est la preuve cartésienne elle-même : je croirai que les bêtes ont une âme quand elles me le diront. Il faut bien que les esprits existent, puisqu’ils parlent et dans une langue que l’interrogateur ne sait ni parler ni comprendre, autrement tout serait inexplicable. Je répondis que c’était pour le moins l’esprit de Spinoza et, poursuivant mon enquête, je découvris que l’un de ceux qui entouraient la table (la plupart étaient plus croyants que savants) avait fait ses études, non comme Sganarelle jusqu’à la quatrième, mais jusqu’à la philosophie et avait su par cœur avec son rudiment son manuel du baccalauréat. C’était l’origine des deux mots cabalistiques, mais celui qui les avait soufflés à l’esprit n’en savait rien et s’extasiait avec une parfaite bonne foi sur la profonde science de son propre écho.

M. Hack Tucke a cent fois raison de citer avec honneur les recherches de M. Gley sur l’hématose cérébrale et l’état du pouls carotidien pendant le travail intellectuel : ce sont là des recherches positives bien propres à faire entrer la psychologie dans sa voie, et, disons-le, plus scientifiques que les formules mathématiques, dont nous avons eu le tort d’en laisser encombrer l’entrée, et surtout que les rêveries des magnétiseurs, amis du merveilleux. Il a raison aussi de proscrire au nom de la morale certains modes d’expérimentation comme celui que décrit Durand de Gros. Dans une salle d’hôpital on annonce subitement comme au cinquième acte de Lucrèce Borgia : « Vous êtes tous empoisonnés ! » Les malades n’avaient pris que de l’inoffensive eau sucrée. L’effet fut prompt : tous ou presque tous eurent des vomissements et des nausées. Mais quoi ! si l’un d’eux était mort de ces vomissements, un juge équitable aurait-il pu absoudre le cruel expérimentateur ? Empoisonner les gens par imagination n’est-ce plus les empoisonner ? On connaît les curieux effets des médicaments employés à distance : supposez qu’un habile assassin use demain de cet ingénieux moyen de tuer son homme sans coup férir et qu’il l’empoisonne à distance. Il n’y a qu’un casuiste de Pascal pour supposer que le crime serait moins grand et admettre peut-être que, dans ce cas, l’effet étant absolument miraculeux, c’est Dieu lui-même qui opère. Or, l’hypnotiseur joue ou plutôt se joue d’un cerveau humain, frêle machine, en l’anémiant et en l’hyperémiant à plaisir : croyez-vous que la pensée et la santé de l’esprit n’en subissent pas le contre-coup ? Usons de la vivisection sur les animaux, en dépit de notre sensibilité qui se révolte, dans l’intérêt supérieur de la science, soit ; emparons-nous avec empressement des sujets d’expérience que l’impitoyable nature nous prépare