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BERTRAND. — le corps et l’esprit

être de même dans les cas si surprenants de communication de la pensée à distance et d’influence directe de l’esprit sur l’esprit. Le mot d’ordre de la science doit être : doutez. Il y a des idées dans l’air ambiant ; tous les historiens ont remarqué que la même conception politique ou scientifique se fait jour au même instant en dix endroits comme sur un mot d’ordre. L’inventeur est celui qui la fait aboutir, non celui qui la conçoit ou l’entrevoit. Voilà pourquoi, dès qu’une invention se fait jour, on accable l’inventeur de la gloire de ses devanciers : l’un a trouvé ceci, l’autre cela ; il ne restait plus rien à faire ; c’est tout au plus si l’on n’accusera pas l’homme de génie d’avoir fait reculer l’esprit humain dont il croit avoir reculé les bornes. À plus forte raison, dans un public restreint, faut-il admettre que ces idées qui voltigent dans l’air ambiant se poseront nécessairement sur ces deux ou trois esprits dans un laps de temps déterminé. Parlons sans métaphore : c’est le même déterminisme produit par les circonstances extérieures qui fait naître ma pensée à moi qui suis le malade et le patient, et votre pensée à vous qui êtes le médecin et l’observateur. Votre étonnement est plus étonnant que le fait lui-même, car s’il fait quarante degrés de chaleur dans la chambre où nous nous enfermons ensemble, ce n’est vraiment pas merveille de nous entendre dire d’une commune voix au bout d’une demi-heure, qu’il y fait bien chaud ? Certes il y a des coïncidences merveilleuses, inexplicables, mais il faut prendre toutes ces épithètes dans leur sens restreint, car si l’innéité est la mort de l’analyse, l’inexplicable est la borne de la science et il n’y faut recourir qu’en désespoir de cause. Au moment où l’on s’efforce de rejeter les causes et les fins dans l’inconnaissable, faut-il réintégrer l’inconnaissable lui-même dans le domaine de la science ? L’ancienne métaphysique disait que tout est intelligible, que rien n’est réel qui ne soit rationnel : avons-nous changé tout cela et ce changement est-il le signe de l’ère positive et anti-métaphysique ? Inexplicable ! ceux qui prononcent ce mot sont des métaphysiciens inconscients, autrement, ils se contenteraient de dire inexpliqué. Le docteur qui certifie un miracle, fait seul preuve d’une pareille outrecuidance, car il dit modestement : « Les lois et les causes de la nature n’ont pas de secret pour moi : je déclare en conscience et sur mon honneur que telle guérison est inexplicable par les seules lois et causes naturelles. » Étrange application des deux côtés de la méthode des résidus ! Je me souviens d’avoir entendu un esprit qu’on faisait parler en interrogeant les tables prononcer les mots pompeux de nature naturante et de nature naturée. C’était à Carcassonne dans une vieille et fantastique maison de la Cité. Tous nos spirites convaincus de s’extasier, car personne ne comprenait ces