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ment : « Depuis que je suis professeur, j’ai eu l’honneur de guérir, par des moyens très simples, des étudiants qui se croyaient atteints de maladies organiques extraordinaires et dangereuses. J’ai guéri un anévrisme de l’aorte à l’aide d’un purgatif, une ossification du cœur à l’aide d’une pilule inerte, une maladie organique du cerveau avec un peu de sel d’Epsom ! » À maladie imaginaire, remède imaginaire. Qu’on nous permette une réflexion qui pourra paraître impertinente : il n’est pas hors de propos de remarquer que c’est justement à l’époque où l’influence du moral sur le physique est le mieux constatée que les médecins affectent de ne plus se distinguer des autres mortels, perdant ainsi de gaieté de cœur une bonne partie de leur influence sur leurs malades. Plus de barbe ; c’était, dit un personnage de Molière, la moitié du médecin ; plus de longues robes à larges manches ni de chapeaux pointus ; Guénaut ne va plus à cheval, n’éclabousse personne et passe inaperçu dans nos rues, comme le premier venu. Hâtez-vous de vous servir de ce remède pendant qu’il guérit encore, mot funeste, aussi pernicieux à la médecine que le Que sais-je ? de Montaigne à la métaphysique, si les termes de chimie n’étaient venus fort à point pour remplacer le latin discrédité. Aujourd’hui, c’est le médecin qui détruit de ses mains la croyance au merveilleux et explique, c’est-à-dire nie le miracle, peut-être parce que c’est aussi un médecin, son confrère, qui le certifie. On nous permettra cependant de passer sous silence la stigmatisée du Bois d’Haine : il en est de Louise Lateau comme de Félida X**, le cas du docteur Azam, on n’ose plus en parler parce qu’on en a trop parlé et ce serait faire tort au lecteur français que de commenter l’excellent chapitre que M. Hack Tucke lui consacre.

C’est pourtant le plus étrange de tous les phénomènes psycho-pathologiques que cette action de la pensée sur les vaisseaux sanguins de la circulation. C’est peut-être lui seul qui explique le sommeil magnétique : d’après M. Moore, ce qui cause le sommeil c’est la suspension momentanée de l’action inhibitoire du cerveau sur les centres vaso-moteurs, et cette suspension peut être l’effet d’une préoccupation, de l’attente. L’idée qu’on va être magnétisé à distance, à travers une porte, à une heure donnée, dans telles ou telles circonstances, suffit souvent pour produire le sommeil magnétique : l’opérateur peut s’épargner le luxe des passes et se dispenser d’une concentration de pensée fatigante pour lui et presque toujours inutile pour la réussite de l’expérience. En donnant une pilule de mie de pain pour endormir ou purger un malade, le médecin serait une vraie dupe, s’il se croyait obligé de tendre les ressorts de sa pensée et de sa volonté pour rendre efficace ce remède de complaisance : il pourrait bien en