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BERTRAND. — le corps et l’esprit

qu’il n’est jamais sur ses gardes. L’autre agit machinalement : il ressemble à ce paysan dont M. Hack Tucke raconte l’histoire, qui était poussé par un irrésistible instinct d’imitation à reproduire tout ce qu’il voyait. On ôte son chapeau, il ôte le sien, on se mouche, il se mouche, on étend le bras, il étend le bras. Si on lui tient les deux mains pendant qu’un tiers gesticule devant lui, il fait des efforts surhumains pour avoir ses mains libres et déclare « que cela lui trouble le cerveau et le cœur ». Le liseur de pensée n’écoute souvent que son écho. Nous sommes semblables, disait un physiologiste, aux cochers de fiacre qui connaissent les numéros et les façades des maisons, mais ne savent rien de ce qui se passe au dedans : c’est être trop modeste, car le corps n’est pas la maison de l’esprit, c’est l’esprit lui-même extériorisé, son habitude et sa manière d’être. En voyant le revers de l’étoffe, le canut lyonnais devine aisément le dessin, croit le voir et le voit réellement.

Passons rapidement sur l’influence de l’esprit dans les contractions des muscles involontaires : qu’une violente émotion produise sur des sujets prédisposés des spasmes et des convulsions, c’est un fait d’expérience vulgaire. « Au nom du Seigneur ayez maintenant une attaque ! » disait Mme de Saint-Amour à une jeune hystérique, et celle-ci de tomber immédiatement à la renverse et de se tordre dans les convulsions de l’épilepsie. Parlez d’eau devant un hydrophobe réel ou imaginaire, vous lui donnerez immédiatement des constrictions à la gorge : c’est, au physique, un effet tout semblable à celui que vous produisiez au moral, en parlant de corde dans la maison d’un pendu. Thouret, dans ses Recherches et doutes sur le magnétisme animal, a dit excellemment, bien avant notre auteur : « Un des plus sûrs moyens de mettre en jeu l’irritabilité nerveuse est d’émouvoir les nerfs en agissant sur les sens et sur le cœur. Dans les différentes scènes convulsives, ce sont des femmes qui ont toujours joué le principal rôle, et l’on voit que dans ces pièces ridicules, il y a toujours eu mélange des deux sexes… Ajoutons encore relativement aux affections nerveuses, qu’il n’est aucune maladie plus contagieuse, quoiqu’elles le soient par un genre de communication qui leur est particulier, par l’imitation. » Une frayeur subite peut produire des spasmes et des convulsions : elle peut aussi paralyser l’appareil musculaire tout en laissant intacte la volonté. Toutefois, les émotions agissent le plus souvent sur les muscles involontaires : l’étudiant novice se croit attaqué de toutes les maladies que son professeur décrit, d’engorgement des poumons pendant le semestre d’hiver, de fièvres et d’affections cérébrales pendant le semestre d’été. L’une heureusement chasse l’autre. Le docteur Armstrong dit spirituelle-