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fit omnia intelligendo. C’est le corps qui parle au corps, mais quand le corps résonne ainsi à l’unisson d’un autre corps quelle finesse d’aperception interne ne faut-il pas pour en discerner jusqu’aux sons harmoniques, tous les frissonnements musculaires, tous les courants nerveux sous-jacents.

S’il y a un langage antennal des insectes, il faut avouer que l’homme est doué d’un langage musculaire et nerveux tout aussi étonnant, mais peu comprennent cette langue plus naturelle pourtant que le langage articulé. L’aveugle devine les alternatives d’ombre et de lumière, de rues et de maisons : les vibrations de l’air, les plus légers souffles sont un langage qu’il comprend. Figurez-vous un physicien qui discernerait au toucher ou même à la simple vue l’état d’une machine électrique ou d’une bouteille de Leyde : tel est presque le liseur de pensée devant son semblable, machine nerveuse. L’organe de l’esprit n’est pas seulement le cerveau, ni même le système cérébro-spinal, c’est tout le corps, c’est toute la masse nerveuse. Comme il suffit de refroidir un point du récipient qui contient une masse de vapeur pour modifier dans toute la masse l’état de tension et d’élasticité, il suffit d’agir sur un point de la masse sentante, du milieu psycho-physiologique pour déterminer d’irrésistibles courants d’idées : ouvrez une issue à la vapeur et à l’émotion, vous pouvez calculer mathématiquement les effets et par conséquent les prédire. Reste l’instinct de divination qui reconstitue une scène, découvre un objet caché, va droit à l’assassin fictif d’un meurtre imaginaire : ici encore se manifeste un talent merveilleux, mais nullement miraculeux, parce qu’il a des analogues dans l’art et dans la science. On peut voler ses faits à un Michelet, on ne lui dérobera pas son talent d’évocation, de divination et de résurrection. À chaque instant, dans notre esprit et dans notre cerveau, deux courants de pensée circulent ensemble sans mélanger leurs flots : l’âme pense toujours, dit Descartes, et nous ajoutons, le cerveau rêve incessamment, la pensée nerveuse est continue, la cérébration inconsciente est un mouvement perpétuel et nos distractions ne sont que cette pensée du cerveau se manifestant inopinément et mêlant son flot troublé au flot clair de la pensée consciente. C’est sur nos distractions que compte le liseur de pensée : ayez la ferme volonté de ne pas vous trahir et commandez à tous les ressorts de votre machine de ne pas se tendre mal à propos ; je n’examine pas si cet effort n’est pas lui-même un signe, et des plus expressifs, je dis seulement que ce vouloir et cette liberté que vous attribuez à votre âme, votre cerveau à coup sûr ne les possède pas ; il continue donc sourdement et maladroitement son œuvre ; ce n’est pas vous qu’on épie, c’est l’autre et l’autre se trahit toujours parce