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BERTRAND. — le corps et l’esprit

illusions analogues dans l’appréciation de la pesanteur, dans la fonction d’équilibration, dans les sensations viscérales. Carpenter a vu un homme très faible des muscles soulever aisément un poids fort lourd parce qu’il le croyait insignifiant ; on a vu une personne souffrant extrêmement du mal de dents se trouver guérie subitement par une contrariété soudaine. Le pessimisme paraît être une conception viscérale ; s’il y a une âme des viscères comme il y a, dit-on, une âme de la moelle, c’est elle qui a inventé ce système de ceux qui digèrent mal. J’entends parler du pessimiste convaincu et pénétré de la vérité de son système jusqu’aux moelles, mais il est rare, peut-être introuvable : s’il existe, sa maladie métaphysique est incurable ; et s’il n’existe pas, les pessimistes méritent qu’on leur applique le mot sévère de Fénelon sur les sceptiques : c’est une secte de menteurs. Tous ces faits se résument dans une loi posée par notre Fernel[1], renouvelée par M. Bain les souvenirs idéaux et émotionnels occupent les mêmes régions cérébrales et spinales que les impressions primitives. Voilà donc le mécanisme psycho-physiologique réduit à sa plus simple expression : réveil de l’idée dans les centres sensoriels ; rappel, par l’idée, de l’émotion qui la complète ; mise en jeu par l’émotion de la spontanéité des centres ; choc en retour des extrémités sensorielles périphériques mises en jeu par l’appareil récepteur devenu appareil excitateur ; phénomènes consécutifs d’esthésie passagère ou durable ; comme donnée physiologique, loi des émotions psychiques et des altérations sensorielles spéciales ou générales considérées comme complémentaires de l’activité idéale ou imaginative.

Nous n’avons rien dit, dans un but de simplification, de la sensibilité générale et de l’action de l’attention sur les muscles volontaires et involontaires, mais il est clair que tout ce qui précède s’y rapporte tout aussi bien qu’aux sens spéciaux. Dans la méditation et la contemplation, le corps reste immobile et semble paralysé ; dans la recherche et pour ainsi dire la chasse à l’idée, le corps se meut et la poursuit en même temps que l’esprit beaucoup de personnes marchent à grands pas comme pour l’atteindre plus vite ; on s’arrête subitement sous le choc d’un argument imprévu qui semble arrêter comme un obstacle le mouvement de la pensée : on se frappe le front comme si l’on voulait ainsi faire vibrer les fibres et les cellules cérébrales comme les cordes d’un instrument et secouer la torpeur et l’inertie de l’organe pensant ; le professeur lit dans les regards si

  1. « Memoria totius est cerebri, in cujus toto corpore fusa est princeps sentiendi anima » (Physiologia, lib. V, cap.  viii).