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de haïr la vie et d’excellents arguments pour en dégoûter les autres. On peut louer l’auteur de ce qu’il ne dit pas aussi bien de ce qu’il dit par exemple, il échappe à la tentation si naturelle d’exagérer sa thèse et de rendre service au lecteur en prêchant sur le texte tentant de notre pouvoir d’élimination sur les maladies ou les germes des maladies. Opposons cette sage et scientifique réserve aux écarts de plume et de doctrine de Feuchtersleben. « L’homme, dit-il d’après Goethe, peut ordonner à la nature d’éliminer de son être tous les éléments étrangers, cause de souffrance et de maladie. » Si le fait d’avoir échappé par un effort d’énergie aux fièvres paludéennes en traversant de nuit les marais Pontins suffit au poète pour justifier cette sublime et chimérique doctrine de la toute-puissance de l’esprit, elle ne saurait suffire ni au médecin ni au philosophe qui ont à cœur de ne pas quitter terre et de rester attachés par des semelles de plomb au terrain solide des faits et des réalités.

L’influence de l’esprit est surtout évidente dans les cas de destruction et de perversion de la sensibilité. Le docteur Woodhouse Braine a pu enlever deux tumeurs sébacées du cuir chevelu à une jeune fille très nerveuse insensibilisée par imagination. En attendant le flacon de chloroforme on lui avait appliqué au visage le masque de l’appareil. « Oh ! dit-elle immédiatement, je sens, je sens que je m’en vais ! » Et pourtant le masque ne conservait pas même l’odeur du chloroforme. Le sommeil mesmérique avait déjà permis à Cloquet, dès 1829, d’enlever un sein, tandis que la patiente, totalement insensible, pouvait cependant suivre une conversation. La première anesthésie par l’éther eut lieu en 1843, mais, pendant une longue période antérieure, on avait pratiqué des opérations sans douleur grâce au sommeil mesmérique. Dans les Indes, le docteur Esdaile avait opéré 261 malades anesthésiés selon cette méthode qui était en pleine prospérité et semblait être appelée à un brillant avenir quand furent inventés d’autres procédés d’un emploi plus commode, mais peut-être aussi plus dangereux. On sait assez qu’il est extrêmement facile, dans le Braidisme, de transformer la sensibilité par suggestion : vous déclarez au patient qu’il boit un breuvage délicieux et il le savoure, une drogue amère et il la rejette en faisant la grimace. Quant aux dysesthésies, c’est-à-dire aux créations spontanées de douleurs localisées parfois très vives, voici quelques exemples intéressants : Lauzanus parle d’un jeune homme qui, après avoir regardé attentivement un malade atteint de pleurésie, au moment où on le saignait au bras fut deux heures après l’opération atteint d’une vive douleur au bras, au point correspondant à la piqûre et en souffrit pendant deux jours. Gratiolet cite un cas analogue : il s’agit d’un étudiant en méde-