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BERTRAND. — le corps et l’esprit

médecin aliéniste de premier ordre, a publié des ouvrages sur l’aliénation mentale devenus classiques au delà de la Manche. Il est donc avant tout observateur et utilitaire ; sa large et pénétrante critique ne dédaigne pas plus les miracles de Lourdes que les recherches de la Salpêtrière, et M. Henri Lasserre, l’historiographe de Notre-Dame de Lourdes, ne serait pas sans doute médiocrement étonné de se voir cité à côté de M. Charcot : il prend son bien où il le trouve.

Il serait curieux de comparer son ouvrage à celui du docteur viennois Feuchtersleben, l’Hygiène de l’âme. Le médecin allemand n’a pu s’abstenir entièrement de métaphysique, et l’hégélianisme n’a trouvé que trop d’écho dans son livre qui s’est imprégné ainsi de je ne sais quelle poésie quintessenciée ou sophistiquée. « La nature, écrit-il, n’est qu’un écho de l’esprit, et la loi suprême qui la régit : c’est que l’idée est la mère du fait et qu’elle façonne graduellement le monde à son image. » Cela peut être vrai, mais la vérité, quand elle n’est qu’hypothétique, n’est pas bonne à dire dans un ouvrage de science. Ailleurs il avoue qu’il enseigne l’art de se faire illusion à soi-même et il aide autant qu’il peut à l’illusion par un ton de prophète ou, tout au moins, de prédicateur convaincu : c’est ainsi qu’il applique à la physiologie la théorie d’après laquelle l’idée est la mère du fait, en affirmant que tout désir énergique se réalise, parole hardie, ajoute-t il, mais aussi merveilleuse consolation. M. Hack Tucke évite ce ton d’oracle, et, tout en visant au pratique et à l’utile, il a plus à cœur de convaincre par les faits que de persuader par les phrases. Il n’a point de paradoxe à faire prévaloir comme Cabanis, ni de panacée à faire triompher comme Feuchtersleben. Ce sont de grandes qualités dont il paye la rançon, car il perd en intérêt ce qu’il gagne en solidité et le lecteur trouvera peut-être que les petits faits voilent la théorie et que les arbres empêchent de voir la forêt. Pour notre part, nous le félicitons sincèrement de s’être dégagé de toute alliance compromettante avec la poésie et la métaphysique dans un sujet où les tentations naissent à chaque pas, mais nous ne lui pardonnons pas aisément d’avoir rendu notre tâche presque impossible, en adoptant une division médiocre et surannée, alors qu’il nous en signale lui-même une autre qui avait le double avantage de la nouveauté et d’une plus grande précision. Sensibilité, intelligence, volonté, états morbides, telle est celle qu’il a suivie ; psycho-physiologie, psycho-pathologie, psycho-thérapeutique, telle est celle qui se trouve indiquée dans le dernier chapitre. Nous avons été tenté de reconstruire sur ce nouveau plan tout son ouvrage : réflexion faite, nous y avons renoncé pour rester plus fidèle à sa pensée et à sa méthode.