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le rideau qui doit intercepter la lumière. Bref, cette partie du public semble littéralement atteinte de surdité scientifique et répond à vos explications, en haussant les épaules et en vous lançant des regards de pitié : Oui, je vous entends souffler !

Le livre de M. Hack Tucke récemment traduit par M. V. Parant[1] aura-t-il l’avantage de convertir ce public à la science, car il le lira sans doute sur la foi du titre : le Corps et l’Esprit. Nous devons, en conscience, l’avertir que l’auteur n’aime pas les nuages ni les mystères, mais en revanche, tout ce que la science la mieux informée peut nous apprendre de l’influence du moral sur le physique, il nous l’apporte et complète ainsi très heureusement le traité de Cabanis qui, comme on sait, ne met guère en lumière que l’influence du physique sur le moral. Si vous désirez pénétrer dans le labyrinthe des rapports de l’âme et du corps et chercher le mot de cette septième énigme du monde, vous ne sauriez choisir un meilleur guide, pourvu que vous soyez bien décidé à demeurer avec lui sur le terrain de l’expérience et à ne pas céder à la tentation de voyager sans barque ni voile sur l’océan de l’inconnaissable. Il n’est pas question dans ce livre de la communication des substances. Le spiritualisme et le matérialisme ne sont pas même nommés et c’est tant mieux, car il en est d’eux comme du droit des peuples et du droit des rois qui ne s’accordent jamais mieux que dans le silence ! L’auteur est donc, direz-vous, un partisan de la philosophie monistique : je n’en sais pas plus que vous, et quand vous aurez lu le livre, vous n’en saurez pas plus que moi. Qu’il ait sa pensée de derrière la tête, on n’en peut guère douter, mais il a le bon goût de ne pas l’exhiber et même de la laisser à peine entrevoir, bon goût qui s’appelle en logique la méthode expérimentale. Des faits bien choisis et bien classés, voilà ce que vous trouverez dans cette sorte de clinique psychique, perennis quædam psychologia : vous pouvez broder sur ce canevas le thème métaphysique et les variations qu’il vous plaira, mais soit que vous admettiez que le cerveau digère les impressions, soit que vous vous incliniez devant la substance que Broussais appelle dédaigneusement l’entité non nerveuse, vous pouvez ouvrir le livre avec confiance, car l’auteur a dépouillé dans le vestibule de la salle de clinique sa métaphysique avec son manteau. Aussi faut-il reconnaître, si la loi d’hérédité intellectuelle est vraie, qu’avant même de naître, M. Hack Tucke était à bonne école, puisqu’il est fils de médecin et petit-fils du Pinel de l’Angleterre. Lui-même,

  1. Le Corps et l’Esprit, action du moral et de l’imagination sur le physique, par D. Hack Tuke, traduit de l’anglais par Victor Parant, précédé d’une introduction par A. Foville (librairie J.-B. Baillière, 1886).