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être conscient ; car un souvenir qu’on ne connaît pas est, disent-ils, un non-sens. Or il semble que les souvenirs n’ont pas besoin d’être présents à la conscience pour exister. La conscience, limitée comme est limité le champ visuel, ne peut avoir devant elle qu’un petit nombre d’images ou d’idées. Il nous serait vraiment impossible de voir simultanément, tout ce qui est dans notre esprit ; car la collection de nos idées formerait un mélange barbare, confus, discordant, un fouillis inextricable. Certaines idées seulement, sortant des profondeurs de l’inconscience, viennent de temps à autre émerger et apparaître à la conscience ; puis, après être ainsi restées quelque temps éclairées, elles retombent de nouveau dans l’obscurité, en même temps que des sensations nouvelles, toujours renaissantes, toujours fixées par la mémoire, viennent grossir sans trêve l’ensemble de nos souvenirs inconscients.

Ma conscience présente actuelle, c’est l’ensemble de mes sensations actuelles, liées à mes efforts actuels ; car toutes ces sensations, tous ces efforts, sont rapportés au moi sensible et actif. Mais cette conscience actuelle n’aura une personnalité que si elle peut se rattacher par la mémoire à une conscience précédente, tout à fait voisine de la première, formée de sensations et d’efforts très analogues à la conscience actuelle.

Et en effet, les sensations et les efforts durent beaucoup plus longtemps qu’on serait tenté de le croire, et le retentissement d’une sensation, avant de disparaître, c’est-à-dire avant d’être un souvenir, persiste pendant très longtemps. De là la multiplicité des sensations présentes à la conscience. Si nous supposons qu’une émotion, une impression dure une minute, elle sera encore, pendant près de vingt-neuf minutes par exemple, non effacée, persistant à l’état de sensation présente. Puis viendra une nouvelle émotion analogue durant le même temps, et ainsi de suite ; de sorte que le premier état de conscience sera par exemple : A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, et le second état de conscience, une minute après : B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, et le troisième : C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, et ainsi de suite ; tous états extrêmement voisins qui se suivent de telle sorte que la personnalité, ou l’unité de la conscience, se trouve ainsi à peu près établie, puisqu’elle est constituée de minute en minute par des états presque identiques.

Et à vrai dire le changement est même beaucoup moins rapide que si nous supposons des variations se produisant toutes les minutes ; d’abord parce que les mêmes sensations se répètent pendant des heures entières, à peu près identiques à elles-mêmes ; ensuite parce que la réaction de l’esprit à ces sensations, si variées