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CH. RICHET. — origines et modalités de la mémoire

l’animal que chez l’homme. La mémoire d’un chien, si intelligent qu’on le suppose, ne s’exerce que sur un petit nombre d’objets ; et il n’est pas capable de faire apparaître l’idée qu’il désire, si tant est qu’il soit capable de désirer l’évocation d’une idée. Il a peu d’images ; elles sont confuses ; elles ne sont pas évocables par l’attention et la volonté. Quelle différence avec ce qui est sur l’homme ! et n’est-on pas en droit de dire que c’est la mémoire qui crée la plus grande différence entre l’homme et l’animal ? Peut-être même la diversité d’intelligence des hommes n’est-elle qu’une diversité de mémoire.

VII

Il nous reste à étudier les relations de la mémoire de fixation et de la mémoire d’évocation avec la conscience, et ce n’est pas la moindre difficulté de cette étude.

D’abord il est évident que les expressions se rappeler un fait, se souvenir d’un mot, impliquent l’idée de conscience. Se souvenir et ne pas savoir qu’on se souvient, c’est un non-sens ; il n’y a donc pas de mémoire d’évocation sans conscience.

Mais on ne peut en dire autant de la mémoire de fixation. D’abord certaines sensations passagères que nous connaissons à peine, dont nous avons à peine conscience, se fixent dans la mémoire ; mais surtout nous n’avons aucune conscience des innombrables idées qui, depuis maintes années, se sont emmagasinées dans notre intelligence. Non seulement nous ne connaissons pas nos souvenirs ; mais bien souvent nous ne savons même pas si nous les possédons. Par exemple, en ce moment, je ne me souviens pas du tout de la fable de l’Alouette et ses petits ; je ne puis même pas dire si je la connais, et cependant, si quelqu’un vient à m’en citer un vers, je dirai : « Je le reconnais : c’est un vers de La Fontaine dans la fable de l’Alouette et ses petits. »

Voilà donc, par conséquent, des souvenirs dont je n’ai pas conscience ; ils ne sont pas présents à ma conscience ; et cependant il y en a, en nombre presque infini, qui s’agitent dans les profondeurs de notre organisation intellectuelle, se combinent, s’associent, se désagrègent, se reconstituent, étant toujours en mouvement et en voie d’élaboration, sans que la conscience assiste, autrement que par lambeaux épars, à tout ce travail intellectuel.

C’est ainsi que se peut expliquer la contradiction, plus apparente que réelle, sur laquelle certains philosophes ont appelé l’attention entre l’inconscience et la mémoire. Ils ont dit qu’un souvenir doit