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CH. RICHET. — origines et modalités de la mémoire

part des idées se présentent à nous sous la forme d’images verbales, c’est-à-dire de mots. Ainsi par exemple, les idées : Algérie, ammoniaque, Beethoven, astronomie, se présentent sous la forme même de ces mots, et non comme figures spéciales. Ce sont les mots Algérie, ammoniaque qui retentissent silencieusement dans ma mémoire, et alors l’association des idées, ou, ce qui revient au même, l’évocation des idées, se fait beaucoup moins selon la chaîne logique rationnelle que selon la similitude verbale. Algérie évoquera l’idée Égérie, ammoniaque l’idée maniaque, comme loutre a amené l’idée d’outre.

Chez les aliénés, chez les somnambules et dans d’autres états particuliers où il y a à la fois intelligence et inconscience, j’ai observé maintes fois, comme tout le monde l’a fait d’ailleurs, cette influence absolument prépondérante des mots sur la direction des idées. Au lieu de dire l’idée appelle l’idée, je dirais : le mot appelle le mot. Si les poètes étaient sincères, ils reconnaîtraient que la rime, loin de gêner le cours de leurs conceptions, a été au contraire l’origine de leurs poésies, et un appui plutôt qu’une entrave[1].

S’il m’était permis de m’exprimer ainsi, je dirais que l’intelligence procède par calembours, et que la mémoire est l’art de faire les calembours qui aboutissent à l’idée finale qu’on cherche.

3o Le troisième mode de rappel des images, c’est l’attention et la volonté. Il semble que nous puissions, par le fait de la volonté, évoquer certaines images, certains souvenirs ; autrement dit l’association, enchaînement des idées et des mots, peut être par nous dirigée dans un certain sens.

Les images simultanément présentes à la conscience sont assez nombreuses ; mais elles ne sont pas toutes également éclairées, également nettes. Or l’attention, par le procédé de l’excitabilité accrue, peut rendre telle ou telle image plus vive que les autres, et alors, par suite de la vivacité plus grande de l’image, les idées associées qu’elle provoque vont apparaître en plus grand nombre que si l’image était obscure.

Par exemple, je veux me souvenir, je suppose, du nom de l’auteur qui a le premier observé que l’excitation des nerfs pneumogastriques arrête les mouvements du cœur. Il est clair que je connais ce nom ;

  1. Rien ne serait plus facile que de prendre les vers du plus grand des poètes de ce siècle, de Victor Hugo, et de montrer combien chez lui les idées sont évoquées par les rimes. L’image comprise dans le second vers, image admirable et juste, vient à cause de la rime, et c’est le mot final du vers qui a été l’origine du vers tout entier. C’est la rime qui évoque l’idée, et parfois ce ne sont pas es plus mauvais vers que ceux qui ont cette origine.