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En tout cas, quel que soit l’instant précis de la disparition, il arrive un moment où cette image n’est plus dans le champ de la conscience : tout à l’heure, n’ayant pas été effacée encore, elle était, pour l’esprit, le présent ; mais, maintenant qu’elle a été effacée, elle n’est plus dans la conscience : elle est le passé.

À partir de ce moment, la mémoire de fixation n’a plus à intervenir. Son rôle est terminé ; l’image est fixée avec plus ou moins de force ou de netteté, peu importe. Elle est fixée ; elle est enregistrée parmi les autres anciennes images ; elle a disparu du champ de la conscience, et elle ne reviendra que si elle est rappelée.

Les conditions de ce rappel ont fait l’objet d’observations nombreuses, ingénieuses, intéressantes. La synthèse de ces observations peut être exposée sommairement.

Le rappel d’une image a lieu :

1o Quand elle est évoquée par la même image qui agit sur nous à l’état de sensation présente.

Ainsi j’ai entendu tel opéra il y a vingt ans ; si aujourd’hui, de nouveau, j’entends un des airs de cet opéra, je le reconnais : l’image ancienne revient à la conscience, évoquée par l’image actuelle.

2o Non seulement l’image actuelle rappelle l’image ancienne quand les deux images sont identiques ; mais il en est encore ainsi quand les deux images sont seulement semblables, ou même peu semblables, ou même tout à fait différentes, pourvu qu’il y ait un point d’analogie quelconque.

C’est là un des phénomènes les plus bizarres de l’intelligence que cette évocation tout à fait fantaisiste des idées les unes par les autres. Chaque idée semble rayonner dans différents sens et évoquer une autre idée qui s’y rattache par un rayon quelconque qui est commun. Ainsi le chat ne ressemble pas à la loutre : cependant l’image d’un chat peut très bien faire penser à une loutre, qui a une fourrure soyeuse, à peu près comme le chat. De même, — et je prends ici à dessein l’exemple baroque qui me vient sous la plume au moment où j’écris, — la loutre me fera penser à don Quichotte, parce que loutre ressemble à outre, et que tout aussitôt j’ai pensé à l’outre pleine de vin que, dans l’auberge, don Quichotte a traversée de son épée croyant avoir affaire à un enchanteur.

Ainsi l’évocation des images anciennes suit les détours les plus extraordinaires. Tous les psychologues ont insisté là-dessus. Mais le point sur lequel il convient d’insister, c’est l’importance considérable des images verbales, pour cette mémoire d’évocation.

À cet égard, les travaux récents des médecins et des physiologistes ne laissent guère d’incertitude. Il est vraisemblable que la plu-