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Or, l’attention se caractérise par un effort non seulement mental, mais musculaire. Non seulement ma pensée se fixera sur le vol du goéland, mais encore elle déterminera des mouvements de mon corps, mouvements de la tête, du globe oculaire, de l’iris, qui permettront à l’image du goéland de persister à l’état d’excitation sensorielle prolongée. Je le suivrai des yeux ; je me retournerai, s’il va en arrière ; je me pencherai, s’il s’approche de la quille du navire ; en un mot, par la convergence de toutes mes actions musculaires, je ferai en sorte que l’image, au lieu de passer rapidement devant mes yeux, se répète et se multiplie, se renouvelle, se prolonge pendant longtemps ; car je sais, par instinct, que, plus une sensation est prolongée, plus elle est forte, et par conséquent apte à être fixée dans la mémoire.

Nous voyons donc, en définitive, que l’intensité de l’impression, c’est-à-dire l’aptitude de l’impression à être fixée, dépend des conditions suivantes.

α. L’intensité de l’excitation sur laquelle l’attention ne peut rien.

β. La durée de l’excitation, durée sur laquelle l’attention est parfois toute-puissante, puisqu’elle peut, par le fait des efforts musculaires convergents à une sensation, prolonger et répéter l’excitation.

γ. L’excitabilité du système nerveux psychique, excitabilité qui dépend de l’attention, puisque l’attention peut accroître l’effet produit par une sensation A, et diminuer l’effet produit par les sensations voisines B, C, D, E.

On voit que nous n’entrons pas ici dans l’explication, qui serait très insuffisante, de cet effort mental qu’on appelle l’attention. Nous l’admettons comme un fait, sans essayer d’en éclaircir le mécanisme : d’ailleurs l’attention est peut-être le phénomène le plus obscur de toute la psychologie.

L’étude psychologique des poisons et du sommeil normal fournit sur le rôle de l’attention et de la mémoire des documents très précieux. J’ai pu montrer que le premier effet d’un poison psychique est toujours ou presque toujours d’anéantir la capacité de l’attention. Conduire ses idées, les diriger là où on veut, éliminer telles images qu’on ne veut pas voir, choisir ou retenir telle idée à l’exclusion de telle autre, c’est là le propre de l’attention. Or, dans toute intoxication psychique, cette faculté a disparu. Dans l’ivresse qui débute, il n’y a plus de pouvoir régulateur pour conduire les idées : les images et les sensations se succèdent sans qu’on puisse s’arrêter sur l’une ou sur l’autre. Il n’y a plus de choix, il n’y a plus de direction. Autrement dit, la faculté d’attention a disparu. De même dans le sommeil normal, ou plutôt quand le sommeil va s’établir. Parfois le soir, fati-