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CH. RICHET. — origines et modalités de la mémoire

L’attention nous apparaît alors comme un appareil d’excitabilité, — si je puis m’exprimer sous cette forme physiologique, — qui rend l’esprit plus excitable à telle ou telle sensation. Et cet appareil d’excitabilité est sous la dépendance du moi qui peut ainsi par un effort rendre telle ou telle sensation plus forte.

C’est ainsi que l’attention contribue à la fixation des images. Elle agit sur la mémoire en rendant plus vives les images sensibles. Une image où l’attention ne s’est pas portée ne laissera presque pas de traces ; car elle sera très faible, et, d’autre part, si l’image est très forte, malgré nous l’attention — car l’attention même n’est pas sous l’absolue dépendance du moi — s’y portera avec force, et alors l’image sera fixée dans la mémoire.

Nous ignorons à peu près tout à fait par quels procédés l’attention peut rendre les images plus vives. Nous connaissons seulement certains faits qui peuvent nous mettre sur la voie. Par exemple, une sensation qu’on attend et qu’on médite est toujours plus forte qu’une sensation imprévue. Une piqûre d’épingle, faite par hasard, produit une douleur insignifiante. Mais, si vous essayez de vous faire vous-même, à loisir, en choisissant la place, méthodiquement, la même piqûre d’épingle, elle vous paraîtra très désagréable et même douloureuse. Une excitation prévue, méditée, réfléchie, fait une impression incomparablement supérieure à la même excitation fortuite.

L’attention n’est pas seulement appareil d’excitabilité, mais encore d’inexcitabilité, en ce sens qu’elle peut effacer certaines images en augmentant l’intensité de certaines autres. On peut donc, par un effort d’attention, s’abstraire de certaines sensations. En effet, comme les images sont d’autant plus nettes qu’elles sont moins nombreuses simultanément dans la conscience, l’inexcitabilité aux sensations. B, C, D, E, nous rend plus sensibles à l’excitation A.

C’est surtout par la répétition voulue de l’excitation que peut agir l’attention. Il semble que l’impression psychique soit proportionnelle, non seulement à l’intensité, mais encore à la durée de l’excitation. Si l’excitant se répète, il produit un effet d’autant plus marqué qu’il est plus répété. Si je vois un cheval pendant un quart de seconde, l’impression sera faible et incomplète ; si je le vois pendant une seconde, l’impression produite sera un peu moins défectueuse, mais le souvenir en sera encore fugace, car l’image sera très vague. À le voir pendant une minute, l’effet sera plus complet, et bien des détails seront perçus que je n’ai pu observer tout d’abord. Mais, si je l’ai pendant une heure devant moi, sous mes yeux, l’image de ce cheval sera très nette, et je n’oublierai plus sa forme, ses allures, sa couleur, et ses caractères individuels.