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qu’à ce moment notre organisme mental était spécialement disposé à la fixation de cette image, ou peut-être parce que le phénomène en question, si oiseux qu’il soit en réalité, s’est trouvé lié, d’une manière qui nous est inconnue, à certains états psychiques antérieurs. — Mais ce ne sont là que des explications insuffisantes. — En fait, la fixation profonde de faits insignifiants est une exception, et, dans la très grande généralité des cas, l’impression est d’autant plus fixe qu’elle a été plus vive. La vivacité et la fixabilité de l’image sont presque toujours corrélatives.

C’est ici que nous devons traiter l’influence de l’attention sur l’image.

L’attention est peut-être la fonction la plus mystérieuse de l’intelligence. Prendre, parmi les innombrables images qui nous entourent, une image spéciale, éliminer, écarter les autres, négliger, concentrer toute la force de sa pensée sur cette seule et unique image : c’est là le phénomène de l’attention.

L’attention consiste donc, d’une part, dans l’élimination des images troublantes ; d’autre part, dans la contemplation plus complète de l’image qu’on veut fixer dans la mémoire. C’est un effort du moi, effort dont le mécanisme nous est tout aussi inconnu que quand le moi s’essaye à soulever un fardeau. Nous savons seulement, par le témoignage de la conscience et d’une expérience incessamment renouvelée, que cet effort est possible et qu’il réussit. Nous savons qu’on peut éliminer certaines sensations, et augmenter la force de certaines autres, et cela par l’attention.

Prenons un exemple. Voici un naturaliste, je suppose, qui, étant sur mer, veut observer le vol des goélands. Quelques goélands volent derrière le navire. Il en suit un de l’œil pour chercher à surprendre le mécanisme suivant lequel il relève ou abaisse ses longues ailes, et alors il concentre toute son attention sur cet unique objet. Il ne voit plus le bateau qui le porte, les passagers qui sont à côté de lui, les vagues qui moutonnent ; il n’entend pas les cris des matelots, le bruit de la machine ; il ne sent ni la trépidation de l’hélice, ni le tangage du navire, ni la pluie fine qui le mouille ; il regarde un goéland, ou plutôt la racine des ailes d’un goéland, et toutes les autres sensations — qui frappent cependant tous ses sens — passent sans produire d’impression, parce qu’il n’y fait pas attention. Toute son attention est fixée sur le vol de son goéland, et cette image, en elle-même insignifiante, insignifiante pour tous les passagers, sera pour lui très vive. Très durable aussi, car il y a fixé toute son attention, et il a éliminé les sensations simultanées, différentes, qui auraient troublé la sensation qu’il veut très vive.