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CH. RICHET. — origines et modalités de la mémoire

obscur, dans la nuit vaguement éclairée par un croissant de lune, pourra être une excitation rétinienne faible, mais une impression psychique forte. Ce n’est donc pas l’intensité de l’excitation qui détermine la vivacité du souvenir ; mais bien l’intensité de l’impression, ou, si l’on veut, de l’ébranlement psychique consécutif à l’excitation.

Comprise ainsi, la loi précédemment indiquée est tout à fait vraisemblable, et nous pouvons considérer la force de fixation de l’image comme étant en raison de l’intensité, non de la sensation proprement dite, mais de l’effet psychique produit par la sensation.

Les phénomènes musculaires, dont le contrôle est si facile, vont nous donner un point de comparaison excellent. La hauteur de la secousse d’un muscle excité par l’électricité est fonction non seulement de l’intensité de l’excitant, mais encore de l’excitabilité du tissu. De même, pour nos sensations, l’intensité de l’effet psychique dépend beaucoup plus de l’état (psychique ou somatique) du cerveau que de l’intensité de l’excitant. Et cela est vrai mille fois plus pour le cerveau que pour le muscle ; car l’excitabilité (psychique ou somatique) du cerveau varie dans des limites au moins mille fois plus étendues que peut varier l’excitabilité du tissu musculaire.

À vrai dire, quelque rationnelle que semble la corrélation entre l’intensité de l’impression et la fixation de l’image, il semble qu’elle ne soit pas sans exception.

Il arrive, en effet, assez souvent, que nous avons oublié des images qui nous ont fait une puissante impression, tandis que nous n’avons pas perdu le souvenir d’images qui n’avaient aucun intérêt d’aucune sorte. Tel événement banal, insignifiant en apparence comme en réalité, s’est fixé d’une manière tenace dans notre souvenir, alors que tel autre, grave, important, exceptionnel, qui a décidé de notre vie, est tout à fait perdu et non évocable. Un de mes chers amis me disait, les larmes aux yeux, qu’il avait perdu sa mère à l’âge de onze ans, et qu’il ne pouvait s’en rappeler les traits, ou les actes, alors qu’il se voyait distinctement, beaucoup plus petit, mangeant des œufs à la coque. Moi-même je me souviens très bien d’une phrase banale, dite un jour par un indifférent, alors que j’ai absolument oublié cent faits d’une importance infiniment supérieure, que je désirerais vivement retrouver dans mon souvenir, et qui m’avaient, au moment même où ils se sont produits, fait une très vive impression.

Mais ce ne sont là, pensons-nous, que des exceptions ; et il est permis jusqu’à un certain point d’invoquer, pour les expliquer, notre ignorance profonde des phénomènes psychiques inconscients. Si un fait insignifiant s’est fixé dans notre esprit, c’est sans doute parce