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On peut apprendre une chose. Un enfant qui veut retenir sa leçon fait un effort pour que les mots restent dans sa mémoire. Nous pouvons, en portant l’attention sur telle ou telle sensation, faire qu’elle persistera dans la mémoire.

La nécessité d’un certain degré d’attention pour la fixation de la sensation résulte de deux lois faciles à prouver :

1o La fixation de l’image est en raison de l’intensité de l’impression psychique ;

2o L’attention augmente l’intensité de l’impression psychique.

La première loi est incontestable, si nous entendons le mot impression psychique dans son sens vrai, c’est-à-dire en tenant compte, non seulement de l’intensité de l’excitant, mais encore de l’état mental du sujet qui perçoit.

Prenons un individu dont l’état mental est troublé, soit par une affection pathologique, soit par une intoxication (comme l’ivresse par exemple). Chez lui, la fixation des images sera profondément altérée. Il verra, il entendra ; il ne se souviendra de rien. Pour que l’esprit conserve le souvenir des images qu’il reçoit de toutes parts, il faut qu’il soit normal, intact. Un ivrogne, un aliéné, un fébricitant, un dément ne retiendront rien des sensations qu’ils éprouvent. Ce seront des impressions fugitives, fugaces, que, plus tard, quand ils seront redevenus maîtres d’eux-mêmes, ils ne pourront plus faire reparaître ; car la trace laissée dans l’esprit sera tout à fait nulle.

La mémoire de fixation est très fragile. Il suffit d’une très faible dose de poison pour l’altérer. Alors que les idées (dépendant de la mémoire d’évocation) sont encore très brillantes, très abondantes, la mémoire de fixation commence à s’affaiblir, au moins avec certains poisons, l’absinthe, l’alcool, le chloroforme, la morphine. Car avec d’autres poisons, comme le hachisch notamment, à la dose qui produit l’hypéridéation, il y a exaltation de la mémoire, et les phénomènes qu’on a observés sur soi pendant le hachisch persistent très longtemps dans le souvenir avec une fixité très curieuse et une exceptionnelle vivacité d’images.

Sur les individus normaux, intacts, en pleine possession d’eux-mêmes, une sensation forte, une excitation forte laisseront un souvenir plus vivace qu’une sensation faible.

Toutefois, pour faire cette distinction, il faut préciser ce qu’est une sensation forte et une sensation faible. Il ne s’agit pas là de l’excitation sensitive proprement dite, mais de la réaction de l’esprit à cette excitation sensitive. Ainsi un rayon éclatant de soleil, avec une lumière éblouissante, représente une excitation rétinienne forte ; mais l’impression psychique finale sera peut-être faible, alors qu’un paysage