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longue et persistante trace derrière elle. Sans cela elle n’a aucune force psychologique, et elle peut être considérée comme nulle, si sa présence ou ses traces dans la conscience présente sont aussi passagères.

À vrai dire, cette hypothèse d’une vibration forte et passagère est une pure conception théorique ; car, en dehors des cas d’intoxication par le chloroforme, la morphine ou l’alcool, il n’est pas d’excitation tant soit peu forte qui ne vibre pendant longtemps dans le champ de la conscience, avant d’être reléguée dans le domaine des souvenirs.

Il ne me paraît pas qu’on puisse refuser le nom de mémoire à la prolongation de l’excitation. Si l’on appelle ce phénomène mémoire, on sera amené à dire qu’il ne peut y avoir de sensation sans mémoire c’est une mémoire organique, pour ainsi dire, élémentaire, rudimentaire ; mais c’est de la mémoire, si l’on compare la durée du phénomène psychologique à la rapidité prodigieuse des sensations en tant qu’excitations physiques.

Nous voici donc amenés à cette conclusion qui parait peu contestable :

Sans mémoire pas de sensation consciente.

Il est plus évident encore que la conscience suppose la mémoire. L’idée du moi actuel, si elle n’est pas reliée étroitement au souvenir de l’idée du moi d’il y a une minute, n’a pour ainsi dire aucune réalité psychologique. De même qu’une sensation d’une minute est à peine une sensation, de même une conscience qui ne durerait qu’une minute en tout ne serait pas une conscience ; c’est un état de conscience, ce n’est pas la conscience ; en tout cas cela n’aurait aucune ressemblance avec la conscience qui est chez l’homme. Aussi pouvons-nous généraliser plus encore la loi précédente, et dire que la conscience suppose la mémoire.

Sans mémoire, pas de conscience.

IV

Non seulement la mémoire conserve et fixe toutes les excitations, qui, à l’état de perception, arrivent à la conscience ; mais encore elle fixe certaines excitations qui ne semblent pas perçues par la conscience ou du moins qui ne l’émeuvent que très superficiellement. En réalité, ainsi que nous le prouvent de curieuses observations, principalement empruntées à la pathologie mentale, nulle excitation, nulle sensation ne viennent frapper notre conscience, fortement ou légè-