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CH. RICHET. — origines et modalités de la mémoire

la racine physiologique de la mémoire. Soit un muscle excité par des courants électriques faibles, rythmés à dix par seconde, je suppose. Si une seule excitation agit sur lui, nul effet ; si deux excitations agissent, nul effet encore ; mais la troisième excitation, je suppose, détermine un mouvement. On peut donc dire que le muscle avait conservé le souvenir des deux premières excitations, où, si l’on veut que le mot souvenir implique la conscience, nous dirons que le muscle avait conservé l’ébranlement des premières excitations : cet ébranlement était latent, et il ne s’est rendu manifeste que lorsque la troisième excitation a agi sur lui, Cette troisième excitation, étant égale aux deux premières, eût été inactive si elle n’avait trouvé pour répondre un muscle préparé par deux excitations antérieures dont l’effet n’avait pas disparu quand l’excitation troisième est venue.

À vrai dire, c’est là une mémoire d’une brièveté extraordinaire, puisqu’elle ne dure qu’un dixième de seconde ; mais, en excitant le système nerveux médullaire, or parvient à constater des phénomènes de mémoire dont la durée est plus longue.

Ainsi par exemple, avec des courants électriques rythmés à un par seconde, j’ai constaté le phénomène de l’addition latente, ou de la mémoire élémentaire, puisque aussi bien les deux termes sont à peu près synonymes. Un, deux, trois chocs électriques ne produisent pas d’effet ; mais le quatrième devient efficace. Il y a donc dans le système nerveux une sorte de mémoire qui a duré trois secondes.

Sur les grenouilles décapitées, on observe le même phénomène de mémoire, à des intervalles encore plus longs. On arrive ainsi à trouver dans la moelle une mémoire d’une ou deux minutes, c’est-à-dire une persistance de l’excitation qui se prolonge, silencieuse, latente, ne se révélant par aucun fait extérieur, mais prête à apparaître, si, par une excitation nouvelle, l’occasion lui est fournie de se manifester.

Il est vrai qu’on doit établir une différence considérable entre la mémoire consciente, souvenir précis d’une image très ancienne, et le retentissement prolongé d’une excitation très récente. Mais notre comparaison est seulement destinée à montrer que, dans un cas comme dans l’autre, une excitation brève a ébranlé la cellule nerveuse pour longtemps, et que l’effet en persiste à l’état latent alors qu’aucun mouvement extérieur ne vient en révéler la réalité. C’est par des faits simples qu’on doit expliquer des faits complexes, et on peut ainsi, par une filiation vraisemblable, relier les phénomènes psychiques les plus compliqués aux phénomènes physiologiques les plus primitifs.

En tout cas, le fait de la mémoire élémentaire s’explique bien si l’on a là notion claire du phénomène de l’irritabilité cellulaire.