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au plus, et peut-être moins encore, d’après de récentes expériences. Or qu’est-ce qu’un cent millième de seconde pour l’esprit ? Ce n’est rien ; absolument rien. Dans l’existence psychologique, pour le moi, un cent millième de seconde n’a aucune réalité. Un millième de seconde n’en a guère plus ; et je ne crains pas de dire qu’il en est ainsi pour un dixième de seconde, même pour une seconde entière.

Donc cette excitation forte serait, quoique extrêmement forte, absolument natte si elle ne laissait une trace qui durera plus d’une seconde. Supposons qu’au bout d’une seconde tout l’effet de cette excitation a disparu sans laisser de traces ? Vraiment cette excitation forte m’importera assez peu, et je me résignerai volontiers à en subir une semblable, aussi douloureuse, & la condition qu’elle ne durera pas plus longtemps et qu’elle ne laissera pas plus de vestiges dans ma conscience.

Or, si l’on considère la réalité des choses, cette excitation électrique violente, qui, physiquement, dure an temps infiniment court, dure très longtemps psychologiquement. La douleur, l’ébranlement, persistent pendant une demi-minute, une minute, cinq minutes peut-être. Si réellement la secousse a été redoutable ; pendant près d’une demi-journée, la conscience en aura conservé le retentissement douloureux, pénible.

Ainsi une excitation brève laisse un retentissement prolongé.

C’est là un phénomène fondamental, d’une importance tout à fait supérieure, et qui donne l’explication de nombre de faits qui, autrement, seraient incompréhensibles.

En outre, ce phénomène fondamental est général. Ce n’est pas seulement sur le système nerveux qu’il s’observe, c’est sur toute cellule irritable. Qu’il s’agisse d’une cellule glandulaire ou d’une cellule musculaire, une excitation brève produit un retentissement prolongé. Mais pour le système nerveux ce retentissement est beaucoup plus long que pour tout autre appareil, et les exemples que les physiologistes en ont donnés sont tout à fait probants.

Cette loi simple régit les phénomènes de mémoire, et par conséquent tous les phénomènes psychiques. En effet, elle conduit à une seconde loi, très importante aussi, qui en est comme le corollaire.

Une excitation brève laisse après elle un retentissement prolongé qui peut être tout à fait latent.

Cette persistance latente d’une excitation antérieure a été appelée par moi mémoire élémentaire, et je crois qu’en effet c’est le fait de mémoire le plus élémentaire qu’on puisse concevoir.

Quoique ce soit moins de la mémoire que de l’irritabilité, il me parait que cette irritabilité persistante est l’origine et pour ainsi dire