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mènes qui viennent s’ajouter aux représentations auditives, motrices et visuelles pour achever de constituer le langage intérieur qui constitue entièrement notre activité mentale.

Nous avons déjà signalé ce fait affirmé par M. Henle que pour lui « les mélodies se jouent d’une manière abstraite qui ne rappelle aucune nuance de sons ». Ce fait, auquel nous trouvons plusieurs analogues, est très important en ce qu’il nous montre une fois de plus que le signe, le symbole et, si l’on veut, la représentation d’une sensation, peut ne pas ressembler du tout à la sensation représentée, et en fait ne lui ressemble pas dans bien des cas. Il n’est peut être pas tout à fait inutile de rappeler que les mots tiennent lieu également de perceptions et de sensations qui n’ont aucune ressemblance avec eux. Le mot cheval par exemple ne ressemble en aucune façon à un cheval réel. De même les symboles représentant une mélodie n’ont pour M. Henle aucune ressemblance avec la mélodie elle-même. Il en est de même pour M. Stricker, qui se représente une mélodie par des images motrices, lesquelles évidemment ne ressemblent nullement aux sons perçus par l’ouïe dont elles sont le symbole.

Ces images qui tiennent lieu des sons, et qui par conséquent peuvent aussi tenir lieu de mots considérés comme sons, on les a appelées des représentations abstraites, et je conserve ce mot, qui me paraît rendre assez bien le caractère de ce genre de phénomènes. Il ne s’applique pas évidemment aux images motrices de M. Stricker, que je n’ai citées ici d’ailleurs que pour montrer qu’un son pouvait être représenté par autre chose qu’une image de son, comme le prouve M. Stricker dans son ouvrage, mais il s’applique aux images dont parle M. Henle et aussi à celles dont j’ai parlé plus haut. Tout ceci nous conduira sans doute à interpréter autrement qu’on ne le fait certains faits connus. En effet, si l’on peut se représenter une mélodie soit par des images motrices, soit par images abstraites, qui les unes les autres n’ont rien de commun avec les sensations auditives de la mélodie, on doit pouvoir aussi se représenter un mot par des images qui n’ont rien de commun au point de vue de la ressemblance avec le mot lui-même, prononcé, écrit ou entendu. Nous voyons, par l’expérience interne, une décroissance complète et graduelle depuis la sensation auditive du mot jusqu’à l’image abstraite, qui conserve encore quelques-uns des caractères de la sensation acoustique en passant par l’image auditive très vive qui se rapproche de l’hallucination, l’image auditive un peu moins vive des formes les plus nettes de la parole intérieure, l’image moins vive encore, telle que la constate chez lui M. Egger, et l’image à demi