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OBSERVATIONS ET DOCUMENTS


À PROPOS D’UN LAPSUS CALAMI

J’étais en train de rédiger un protocole d’autopsie, je voulais écrire « poumon droit », j’écrivis « poumon 3 ». Les mouvements de la main nécessaires pour figurer le chiffre « 3 » et pour écrire le mot « droit » n’ont aucune analogie ; mais les mouvements nécessaires à l’articulation des mots « trois » et « droit » en ont une grande. Il semble donc que ce lapsus calami ait été un lapsus linguæ qui s’est trouvé enregistré par l’écriture. Cette observation semble montrer que la représentation mentale d’un son articulé s’accompagne de mouvements de muscles spécialement adaptés à l’articulation, et que, lorsqu’on veut représenter graphiquement le son, on l’écrit d’abord avec la langue.

Lorsqu’on regarde écrire un enfant ou un manouvrier peu exercé, on le voit contracter tous ses muscles, et tirer la langue en l’agitant d’une manière désordonnée en apparence : en réalité, ils amplifient les mouvements d’articulation, pour renforcer les images graphiques qui ont été apprises en dernier lieu, et sont moins intenses que les images motrices des sons articulés.

Un individu, devenu agraphique par suite d’une lésion cérébrale, répétait un certain nombre de fois chaque syllabe du mot qu’il voulait écrire et finissait par y parvenir.

Dans tous ces faits, les mouvements adaptés à écriture sont précédés, et en quelque sorte préparés par les mouvements d’articulation des mots.

Certains sujets atteints accidentellement de cécité verbale, c’est-à-dire ayant perdu la mémoire visuelle des signes écrits, exécutent avec la main les mouvements nécessaires pour écrire les mots qu’ils veulent lire, et arrivent ainsi à réveiller l’image des mouvements d’articulation, et lisent avec leur main, comme dit M. Charcot. Ces malades font l’opération inverse de celle que nous venons de signaler.

D’autres individus qui ont perdu la mémoire des sons articulés, atteints de surdité verbale, arrivent à comprendre s’ils réussissent à reproduire avec leurs lèvres les mouvements qu’ils voient faire à leur interlocuteur. Ils entendent avec leurs muscles de l’articulation.