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ANALYSES.l. donnat. La politique expérimentale.

ses virtuoses et ses profanes, les trois quarts de l’humanité appartenant par malheur à la première catégorie. Art tout en formules, qui plus que la scolastique elle-même appelle son Raymond Lulle, et qu’on ne peut demander au premier venu, à tout homme, de connaître et d’appliquer. Telle serait la conséquence dernière de la thèse indiquée par l’auteur, Il l’aperçoit, d’ailleurs, et la repousse, tout effrayé de sa propre logique. Le moindre acte de bonne volonté et la simplicité du cœur l’emportent infiniment, dit-il, sur une connaissance encyclopédique des problèmes posés et des solutions proposées par les casuistes, Ici encore il a raison, mais cet aveu même accuse une difficulté foncière, essentielle, plus ou moins aisée à tourner dans la pratique par des tempéraments, par un dosage habile de règle et de liberté, de science et de bon vouloir, de calcul et d’inspiration, mais qui n’en est pas moins en elle-même fort embarrassante, car s’il y a quelque chose de clair en Tout ceci, c’est qu’en morale rien n’est clair.

Henry Michel.

Lèon Donnat. — La Politique expérimentale. Paris, 1885 (1 vol.  de la Bibliothèque des sciences contemporaines).

Pendant longtemps l’art de la divination a régné en politique, comme il a régné dans toutes les sciences : au lieu d’observer les faits, pour en déduire des conclusions solidement appuyées, ce qui constitue une opération lente et pénible, on trouvait plus commode de se passer des faits et de deviner les conclusions. Un beau jour, une idée germait dans le cerveau d’un penseur : rapidement acclimatée dans le peuple, transmise aux générations suivantes, s’affermissant ainsi dans l’espace et dans le temps, l’idée finissait par passer à l’état d’idée innée, de dogme, de vérité fondamentale, de principe, d’axiome, que nul désormais n’eût osé mettre en doute sans avoir contre lui et le sens commun et sa propre conscience. Sur cette base fragile s’édifiait de lui-même tout un système politique, dans lequel venait s’emprisonner la génération présente, et aussi la génération à venir. Les constitutions qui ont régi nos pères, celles qui nous régissent aujourd’hui, n’ont pas eu d’autre mode de formation. On comprend que d’innombrables abus sont inhérents à une pareille manière de procéder.

Le livre de Léon Donnat a été écrit pour montrer qu’en politique une méthode nouvelle s’impose. Il faut rejeter au loin toutes les idées préconçues, sans en excepter aucune, jusqu’à ce que l’observation méthodique des faits en ait démontré la réalité.

Remarquons d’abord avec l’auteur que la simple observation des faits ne suffit pas ici, même en s’aidant de toutes les ressources de la statistique. « L’observation peut bien, en certains cas, faire connaître les lois, mais elle se montre le plus souvent impuissante à les démontrer avec une évidence qui défie la contradiction. Les débats qui se sont