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ANALYSES.r. thamin. Un problème moral dans l’antiquité.

assez, selon M. Thamin, le lien qui la rattache, elle aussi, à la casuistique. C’est parce que les disciples de Zénon pratiquent le retour sur soi, l’examen de conscience, la direction ; c’est parce qu’ils s’interrogent et s’étudient qu’ils en viennent à comprendre que la raison de l’homme ne sait pas tout, ne peut pas tout, qu’il y faut joindre autre chose, le recours confiant à un Dieu, — On aurait tort, ce semble, de trop presser sur cette relation, et de croire que toute la religion stoïcienne en soit sortie. Outre l’élément moral, cette religion contient un élément métaphysique, ou plutôt physique, legs des premiers fondateurs de la doctrine, qui n’a rien à voir avec les pratiques de la vie intérieure, Le Dieu de Marc Aurèle fait trop oublier à M. Thamin celui de Cléanthe.

Ζεῦ, φύσεως ἀρχηγὲ, νὸμου μέτα πάντα κυβερῶν,

Et la discipline morale, d’ailleurs si belle, où aboutit le stoïcisme déjà presque christianisant, lui voile des tendances cosmogoniques, l’élan panthéiste du stoïcisme primitif. C’est là, d’ailleurs, l’inconvénient presque inévitable des travaux de ce genre ; l’auteur cède à la tentation de faire du point particulier qu’il étudie le centre et le nœud du système, et mesure toute une doctrine à l’étroite ouverture de l’angle sous laquelle il la regarde.

Le livre de M. Thamin se termine par deux chapitres : l’un, de conclusions ; l’autre, consacré à une rapide esquisse de l’évolution de la casuistique avant et après le stoïcisme. On a dit quelque part que la casuistique était « d’origine stoïcienne ». L’auteur emprunte aux Mémorables[1] (IV, 2) une conversation de Socrate avec Euthydème qui lui parait être, non sans raison, une ébauche de la méthode des casuistes. Il rencontre ensuite dans Aristote une maxime qui contient en germe toute casuistique : Τοῦ γὰρ ἀορίστου ἀόριστος καὶ ὁ κανών ἐστιν· et il trouve dans la théorie aristotélicienne de l’équité, notamment, un exemple de casuistique réelle et positive. Les Caractères de Théophraste lui fournissent une transition pour passer d’Aristote à Épicure. L’épicurisme d’ailleurs ignore la casuistique, car le bien suprême et la suprême moralité résidant dans le plaisir, pas n’est besoin de distinctions subtiles et raffinées. Seules, les nobles et sévères exigences du stoïcisme appellent les explications, les transactions, c’est-à-dire la casuistique.

Vient ensuite une nouvelle période, où la casuistique entre au service de la théologie et de la morale religieuse. Des pères de l’Église, saint Clément d’Alexandrie, Origène, saint Jérôme, saint Augustin, mais surtout Lactance et saint Ambroise font les premières applications de la

  1. Xénophon cite également (Cyropédie, chap. III) un fait intéressant pour l’histoire de fa casuistique. C’est un cas de conscience posé au jeune Cyrus pour lui apprendre à distinguer nettement le juste de l’injuste. — Il est curieux de voir Kant préconiser comme une nouveauté l’introduction dans les écoles d’un catéchisme des droits et des devoirs, où se trouveraient des cas faciles et populaires. (Cf. des Principes métaphysiques de la morale). C’est la vieille méthode décrite dans la Cyropédie.