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ANALYSES.r. thamin. Un problème moral dans l’antiquité.

toire du stoïcisme, qu’il serait cependant si opportun de renouveler ; il voulait simplement marquer la place que la casuistique tient dans l’ensemble du système, et dire les services qu’elle à rendus à la morale, en quoi il a de tous points réussi.

Au premier abord, rien ne semble plus incompatible que stoïcisme : et casuistique. Pourtant, le Portique a eu ses casuistes, ou, pour mieux parler, — et M. Thamin aurait dû en faire la remarque expresse, car, elle est fondamentale, — tous les grands stoïciens, à l’exception d’un ou deux, ont fait de la casuistique. Ce ne sont pas les tard venus, où les demi-disciples, c’est Chrysippe, c’est Zénon lui-même, qui, après, avoir esquissé leur idéal inaccessible et irréalisable, proclamé que tout ce qui n’est pas sagesse parfaite est pure folie, en viennent cependant à reconnaître : Zénon, qu’il « faut distinguer entre les fautes pardonnables et celles qui ne le sont pas » (Cic., de Fin., IV, 20) ; Chrysippe, « qu’il vaut mieux vivre étant insensé et dût-on ne jamais agir en être raisonnable, que de ne pas vivre » (Plut., de Contr. stoïc., 18). Les différences de valeur (ἀξία) et de non-valeur (ἀπαξία) entre les choses d’ailleurs neutres et indifférentes (ἀδιάφορον) ; les préférables (προηγμένα) et les rejetables (ἀποπροηγμένα), tout cela, quelque obscure que soit la chronologie du stoïcisme, remonte, on peut l’affirmer sur la foi de Diogène, de Stobée, de Cicéron, aux origines mêmes de l’école. Il s’agissait, en effet, de rendre praticable, sinon pratique, une morale qui, prise au pied de la lettre, dans la rigueur de ses formules, dépassait les forces de l’humaine nature, et choquait le bon sens. On fit donc des concessions, on établit des distinctions, on examina des cas particuliers ; et si l’on parvint à concilier les exigences de la théorie avec les nécessités de la vie, ce fut au prix d’une minutieuse pesée des motifs et des circonstances de la conduite, opération qu’il faut bien appeler de son vrai, nom : une casuistique. Cette casuistique n’est ni un appendice plus ou moins tardif, ni une branche distincte et aisément séparable de la philosophie stoïcienne ; elle tient d’aussi près que possible à la dialectique et à la morale ; elle fait corps avec le tronc du système : il est impossible de l’en détacher. Si bien qu’au rebours du préjugé courant, qui, oppose l’inflexibilité stoïcienne aux accommodements des casuistes, il faudrait presque dire que ceux-ci sont sortis de celle-là, et que le stoïcisme qui a donné au monde Épictète et Marc-Aurèle, lui a préparé aussi Caramouel et Escobar.

M. Thamin n’a pas assez insisté, à mon avis, sur cette inséparabilité de la casuistique et de la morale chez les stoïciens, qui fait qu’il n’y a pas une école de casuistes, et une école de moralistes, ayant chacune son évolution propre ; ni même des moralistes dont la casuistique ait, été la spécialité, mais que les plus grands moralistes ont été en même temps les plus habiles casuistes. Il a, en revanche, parfaitement indiqué, les services rendus à la morale par la casuistique. Réaction du sens commun contre le paradoxe et contre ce que Kant appelait le fanatisme, moral, la casuistique à sauvé les stoïciens de l’abîme du quiétisme, où