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avec courage les laideurs de la vie réelle. « Les délicats sont malheureux, » disait La Fontaine ; et il laissait entendre par là que les gens délicats n’ont pas assez de force pour résister aux épreuves de la vie, pour surmonter les difficultés et les obstacles. Mettons dans les cœurs une noble aspiration à l’idéal ; mais n’oublions pas que la vie est faite de réalités, que l’existence ne ressemble nullement à une poésie aimable, mêlée de chansons, où nous n’aurions qu’à suivre la pente séduisante des plaisirs du goût. Il y a des efforts à faire, des luttes à soutenir, des mystères à combattre ; et pour préparer l’homme aux combats de la vie, il faut un apprentissage viril : il faut développer la raison plus encore que l’imagination ; il faut cultiver la science plus que l’art et la poésie ! »

Retenons ceci qu’il est sage de ne pas fournir trop d’aliments à la sensibilité. C’est une concession : l’exagération de la sensibilité n’est pas la fin de l’éducation. La sensibilité est la condition de la pratique du bien. L’auteur parle des moyens disciplinaires (11e leçon de la IIe partie, les récompenses et les punitions) : « Les moyens disciplinaires sont aussi variés que les instincts de la nature humaine. Les enfants peuvent être conduits par des mobiles très différents, qui se rattachent à trois ou quatre groupes principaux : 1o les sentiments personnels, la peur, le plaisir, l’amour-propre ; 2o les sentiments affectueux, l’amour des parents, l’affection pour le maître ; 3o l’intérêt réfléchi, la crainte des punitions, l’espoir des récompenses ; 4o l’idée du devoir. À vrai dire, aucun de ces principes ne doit être exclu du gouvernement intérieur des classes. Il serait imprudent de se priver des ressources que chacun de ces mobiles fournit à l’instituteur pour obtenir le silence, l’ordre et l’attention, pour encourager l’ardeur au travail, pour corriger les défauts et développer les qualités de ses élèves. »

Suivent quatre pages sur l’’émulation ; l’auteur cite M. Buisson, M. Jacoulet, Diderot, Locke, Rousseau, Rollin, Mme Campan, M. Feuillet, La Bruyère, Pascal, et comme il sait tout ce qu’on a dit de l’émulation, il sait aussi ce qu’on lui reproche ; il le dit : « Les pédagogues leur reprochent : 1o de détourner l’attention des enfants de la pensée du devoir pour le porter sur la récompense ; 2o de faire honorer par les enfants, non pas le mérite, mais le succès ; 3o de surexciter la vanité chez les uns, d’humilier et de décourager à jamais les autres ; 4o de provoquer la haine et la jalousie entre camarades ; 5o de faire prendre pour toute la vie la détestable habitude de rechercher les distinctions de briguer le premier rang, de poursuivre les honneurs et de ne pas se contenter d’une position modeste et d’une obscure tranquillité. » Il y a du danger à se servir de l’émulation ; n’importe, M. Compayré veut qu’elle soit un moyen ; et tous les sentiments, pour lui, doivent être pris comme des moyens. Il l’a dit, il le répète : « Les récompenses répondent surtout au sentiment de l’honneur, à l’amour-propre. Les punitions ont parfois le même caractère ; elles tendent à humilier l’élève, à lui faire honte de ses fautes dénoncées publiquement. Mais, en géné-