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ANALYSES.g. compayré. Pédagogie théorique et pratique.

une mère de famille donnant des ordres, raisonnables suivant eux, les donnent toujours de manière que l’enfant puisse arriver à démêler peu à peu, — c’est une illusion au jugement de nombre de penseurs, peu importe, — à démêler qu’ils ordonnent parce qu’ils le doivent faire ; que, le faisant, ils obéissent à un commandement intérieur, et voilà une autre histoire d’une conscience d’enfant. Mais M. Compayré a voulu, ou à peu près, dire que les objets de l’intelligence et de la sensibilité augmentent avec l’âge de l’enfant, qu’ils augmentent et se diversifient ; que l’enfant prend de mieux en mieux conscience de ses pensées, de ses sentiments, de plus en plus conscience de son lui ; qu’enfin il parvient à se reconnaître une petite personne, à la fois libre et obligée ! Cela est possible, et il est possible également que le mot évolution ait été mis dans la phrase seulement pour faire figure.

Après le passage rapporté, ces lignes :

« Avant que l’idée morale se dégage de tout élément étranger, de l’attrait du plaisir, de la crainte ou de l’amour qu’inspirent les parents, des sollicitations de l’intérêt, du respect qu’inspire l’opinion publique, que d’étapes à parcourir ! Quelle pénible et lente élaboration pour atteindre à l’idéal de la conscience saluant une loi souveraine, s’inclinant devant elle, et se conformant volontairement à ses prescriptions ! »

Peut-être l’impératif catégorique est-il là désigné, quand, précédemment, il a été parlé du bien moral « existant par lui-même ».

Obligé de décrire la nature du sujet de l’éducation, M. Compayré s’est du moins efforcé de concilier des doctrines ; il s’est fait éclectique.

À défaut d’opinion qui lui soit propre, à toutes les pages du livre des jugements qui témoignent toutefois d’une tendance très personnelle.

Nous avons vu que, dans sa leçon sur l’éducation morale, il en appelle au plaisir, à l’intérêt, à la crainte ; or, il ne méconnaît pas sa tendance à tenir compte surtout des sentiments : « On nous a vivement reproché d’avoir écrit, dans nos Éléments d’instruction civique et morale, que « la pratique de la morale reposait sur la sensibilité » ; c’est cependant la pure vérité : le sentiment quel qu’il soit, sentiment d’affection pour sa famille, pour ses camarades, pour ses concitoyens, au besoin, sentiment religieux, noble émotion de l’âme pour le bien ; voilà les sources les plus fécondes de la vertu. » Il ajoute : « Les pédagogues sont unanimes sur ce point » ; et il transcrit une phrase de M. Marion. M. Marion ne laisse pas d’attribuer un rôle assez important à la sensibilité ; il se distingue, sur ce point, comme sur plusieurs autres, de l’école criticiste, mais ce n’est pas à prétendre qu’il fasse reposer, lui, la pratique de la morale sur la sensibilité. Autre part (12e leçon de la 1re partie : les sentiments supérieurs, l’éducation esthétique, l’éducation religieuse) il dit : « Les plaisirs esthétiques ont beau être des plaisirs purs et élevés, ils ne sont après tout que des plaisirs ; ils participent de la nature de la sensibilité, et la sensibilité ne saurait être la règle de la vie. L’abus des sentiments esthétiques énerve, affaiblit l’âme et fait des esprits délicats à l’excès, qui ne savent plus affronter