Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
534
revue philosophique

opinions contraires : Coménius a dit ceci, Rousseau a dit cela, et que présenter l’opinion moyenne comme pouvant bien être la meilleure. Il a les systèmes, tous les systèmes, en trop grande méfiance.

Il n’y a pas, certes, contradiction entre le fait de circonscrire étroitement un sujet et Le fait de prouver un esprit assez large pour entendre toutes les solutions des problèmes que comporte ce sujet. Aussi bien cette gêne que l’on éprouve ne vient-elle pas de là ; mais on désirerait rencontrer, au moins parfois, quelque opinion un peu personnelle, dût-on la juger fausse. Car, approuver tout ce qu’écrit un auteur, tout ce que dit un professeur, ce n’est point ce dont on a besoin ; on veut seulement qu’il affirme et s’affirme. Il donne prise à la discussion ? peut-être ; il parle toutefois, en même temps, avec l’autorité d’une conviction cherchée, et ainsi il intéresse doublement aux questions dont il traite.

La prétention dont nous avons parlé n’est-elle pas vaine ? peut-il y avoir une pédagogie indépendante ? encore un point sur lequel nous ne voulons pas prendre de décision. M. Compayré s’est appliqué à ne discuter point les théories psychologiques, morales, qui divisent le plus ; il n’a pu pourtant s’empêcher d’en aborder quelques-unes.

Un seul exemple. En sa dixième leçon (1re partie), — il s’agit de la conscience morale, — il écrit :

« À l’origine, le bien est ce qui plaît ; le mal, ce qui déplaît, à l’enfant. Faisons en sorte qu’il ne se plaise qu’à ce qui est bon. Plus tard, le bien est ce que le père et la mère ordonnent ; le mal, ce qu’ils défendent. Obtenons que l’enfant aime ou craigne assez ses parents pour se prêter docilement à leur volonté. Plus tard encore, quand l’intelligence est capable de réflexion, le bien, c’est ce qui est utile ; le mal, c’est ce est nuisible. Mettons le plus possible d’accord le devoir et l’intérêt de l’enfant. À un degré plus élevé enfin, le bien, c’est ce que les hommes approuvent, ce que la loi civile exige ; le mal, ce qui est universellement réprouvé. Rendons l’enfant sensible à l’opinion d’autrui ; apprenons-lui à rougir, à avoir honte de tout acte qui encourt le blâme général. Ce n’est qu’au dernier terme de son évolution que la conscience parvient à saisir l’idée d’un bien moral existant par lui-même, conforme à la dignité de l’homme, et qu’il faut pratiquer pour cette seule raison qu’il est le bien, »

Qu’on laisse de côté les recommandations faites, reste une suite d’observations : le bien est d’abord ceci ; plus tard, il est cela ; et plus tard encore, quelque autre chose. M. Compayré parle de développement de la conscience, de phases de développement : pour lui est-ce dire que les diverses façons, pour l’enfant, d’entendre, à un moment ou à l’autre, le bien et le mal : — d’entendre, car on ne peut employer le mot comprendre, et le mot sentir serait mieux placé, — sont comme des degrés qu’il lui faut gravir pour parvenir à la conscience morale ? qu’il y a succession, substitution, l’une à l’autre, de ces façons diverses ? que chacune se manifeste nécessairement et dans tel ordre indiqué, ordre de développement nécessaire ? Qu’au lieu de suivre ses conseils, un père,